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Dilemmes éthiques et fonction RH : entre arbitrages, valeurs et responsabilités

De Nicolas Treuvey

Le mardi 23 septembre 2025

L'activité de la fonction RH se situe au croisement de trois problématiques : des exigences économiques naturellement, mais également des contraintes juridiques et... des valeurs humaines. Confrontés à des situations individuelles et collectives parfois complexes, les professionnels doivent donc arbitrer entre des principes parfois contradictoires, tout en assumant les conséquences  de leurs décisions. Une enquête menée par Denis Monneuse auprès d’étudiants en ressources humaines et de directeurs RH met en lumière la variété des dilemmes rencontrés, les stratégies mises en place pour les prévenir, les modes de décision mobilisés et la diversité des profils qui en résultent.

l’éthique comme discipline et ses implications pour les RH

L’éthique ( ἦθος - êthos), entendue comme discipline philosophique visant à définir les principes et comportements favorisant le bien-vivre ensemble, se distingue de la morale qui repose davantage sur le jugement individuel de ce qui est bien ou mal. Elle se distingue également du droit : Ce qui est légal peut ne pas être jugé éthique, et inversement. L’éthique évolue avec la société et reflète les transformations des normes collectives.

 

Dans le champ des RH, l’éthique se traduit par des arbitrages quotidiens touchant à l’humain au travail. Contrairement à des choix purement personnels, les dilemmes rencontrés par les RH impliquent généralement des conséquences sur autrui et engagent la responsabilité directe de celui qui décide.

 

Les exemples classiques mobilisés en philosophie, tel celui du tramway fou, trouvent des échos dans le monde des organisations mais sous des formes plus concrètes : licenciements, discriminations, promotions, conflits d’intérêts ou encore partage d’informations sensibles. Dans ce contexte, les dilemmes éthiques apparaissent comme des réalités structurelles de la fonction RH.

Des dilemmes présents dès la formation et tout au long de la carrière

L’étude conduite auprès d’étudiants en master RH a montré que les dilemmes éthiques surviennent très tôt dans les parcours professionnels. La totalité des apprentis interrogés indiquait avoir déjà été confrontée à un conflit de valeurs entre leurs convictions personnelles et les pratiques de leur entreprise d’accueil. Ces conflits pouvaient prendre des formes diverses : falsification de documents, discriminations explicites en recrutement, pressions pour vendre des services inadaptés aux clients, favoritismes ou encore demandes de licenciements infondés.

 

Certains témoignages révélaient des situations plus extrêmes, comme la demande d’assumer l’erreur d’un supérieur, ou même de couvrir des comportements illégaux. Des expériences qui soulignent la précocité avec laquelle les futurs professionnels des ressources humaines sont exposés à des choix engageant leur intégrité et leur rapport à la légitimité organisationnelle.

 

Du côté des DRH, les dilemmes rencontrés apparaissent plus diversifiés mais obéissent à des logiques similaires. Les situations les plus fréquemment évoquées concernent la gestion des salariés clés auteurs de fautes, les conflits d’intérêts, les accusations difficiles à qualifier faute de preuves, les injonctions illégales de la direction, la question de la deuxième chance, les plans sociaux ou encore les discriminations en recrutement.

 

S’y ajoutent des problématiques liées au partage d’informations sensibles, à la relation avec les syndicats, à la loyauté envers la hiérarchie ou encore à la prise en compte des valeurs collectives au-delà de l’entreprise. Dans tous ces cas, les dilemmes mettent en tension plusieurs logiques : protection des salariés, respect des procédures, sauvegarde des intérêts de l’entreprise, conformité légale ou encore préservation de l’image collective.

Prévenir et gérer les dilemmes : stratégies et arbitrages

Face à ces dilemmes, plusieurs stratégies de prévention sont mentionnées. Les DRH insistent tout d'abord sur la nécessité d’être au clair avec leurs propres valeurs et leurs limites, afin de savoir jusqu’où ils peuvent accepter certains compromis. Le choix de l’employeur apparaît également décisif : l’adéquation entre valeurs personnelles et valeurs organisationnelles est perçue comme un facteur essentiel de cohérence professionnelle. Certains reconnaissent avoir démissionné lorsqu’ils ne se sentent plus en accord avec les pratiques de leur entreprise.

 

L’importance des relations de proximité avec les managers est également soulignée : instaurer des échanges réguliers permet de détecter plus tôt les problèmes et d’éviter qu’ils ne se transforment en dilemmes insolubles. D’autres privilégient la mise en place de chartes, codes de conduite et procédures éthiques, ou encore l’exemplarité des dirigeants comme repère collectif. Enfin, certains témoignages font état de départs définitifs de la fonction RH, considérée comme trop exposée à des conflits de valeurs répétés.

 

Parfois, le dilemme ne peut pas être évité. Dans ce cas, les modes de décision divergent : certains DRH disent privilégier une approche sans affect, tranchant strictement au regard des faits. D’autres accordent une place centrale à l’empathie, tout en la questionnant pour éviter de se laisser guider par des affinités personnelles. Le recours au droit et à l’avis des juristes constitue une autre voie.

 

L’expérience accumulée au fil du temps joue également un rôle : elle aide à mieux discerner les conséquences possibles et à arbitrer plus rapidement. Pour d’autres, le long terme et l’image globale prévalent : préserver la crédibilité de la fonction RH et construire une relation de confiance durable avec les partenaires sociaux ou les salariés.

 

Enfin, de nombreux professionnels cherchent à trouver des compromis : accompagnement renforcé lors d’un licenciement, temporisation pour sécuriser les clients, principe de précaution en cas de doute, mise de moyens financiers pour adoucir les conséquences d’une décision... Le recours à des tiers n'est pas exclu : délégation de décision aux managers de proximité, appel à un médiateur, consultation de pairs ou de personnes de confiance en dehors de l’entreprise. Le binôme DRH-direction générale apparaît également comme un lieu central de co-décision.

Typologie des profils de drh et besoins exprimés

À partir des entretiens, une typologie a été esquissée, sans prétendre enfermer les individus dans des catégories fixes mais permettant d’identifier des tendances. Le business first place en priorité l’intérêt économique de l’entreprise, au risque de paraître froid et insensible. Le docile se caractérise par une loyauté absolue à la direction générale, quitte à exécuter des décisions contraires à ses valeurs personnelles. Le généreux cherche à compenser les effets négatifs des décisions par un accompagnement humain ou financier.

 

Le juriste fonde son action sur le droit, considérant celui-ci comme l’expression de l’éthique professionnelle. Le procédurier tente d’anticiper les dilemmes par des règles et processus stricts, afin d’éviter toute dérogation ou favoritisme. Le sélectif choisit ses combats, acceptant de fermer les yeux sur certaines situations pour mieux défendre ses lignes rouges. Le syndicaliste privilégie la défense des salariés, parfois au point de s’opposer discrètement à sa propre direction.

 

Cette diversité de profils montre que la fonction RH ne se réduisait pas à un rôle technique, mais engage des orientations profondes sur la conception de l’entreprise et de son rapport à la société.

 

Enfin, plusieurs besoins d’accompagnement sont exprimés. Les DRH soulignent l’intérêt de disposer de guides pratiques clairs, à l’image de ceux publiés sur le harcèlement. Ils insistent aussi sur la nécessité d’une meilleure sensibilisation aux enjeux éthiques dès la formation initiale, afin de préparer les futurs professionnels aux dilemmes qu’ils rencontreront inévitablement.

conclusion

L’exploration des dilemmes éthiques rencontrés par les responsables RH met en évidence la nature profondément humaine et paradoxale de cette fonction. Les décisions ne relèvent pas uniquement de la technique juridique ou du calcul économique : elles mobilisent des valeurs, engagent des arbitrages entre plusieurs logiques et façonnent la culture collective de l’entreprise.

 

Loin d’être anecdotiques, ces dilemmes traversent les parcours professionnels dès l’apprentissage et accompagnent les carrières tout au long de leur déroulement. La diversité des profils observés révèle qu’il n’existe pas une seule manière d’incarner la fonction, mais plusieurs sensibilités en tension entre efficacité, loyauté, équité et responsabilité sociale.

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