Si nous sommes conscients de nos limites physiques, nous le sommes moins avec nos limites intellectuelles : nous avons tendance à surestimer nos capacités. Alors que le volume d’informations
que nous devons traiter a explosé, l’attention et la concentration sont des états de plus en plus
difficiles à atteindre, remettant en question la capacité à réaliser un travail satisfaisant. Fort heureusement, des solutions existent nous dit Jean-Philippe Lachaux, directeur de recherche à l'Inserm et au Centre de recherche en neurosciences de Lyon. A la condition, toutefois, de bien connaître ses limites et de les respecter.
Les neurosciences cognitives constituent un excellent outil pour porter un regard sur soi-même et s’interroger sur ses limites : que pouvons-nous exiger de nous, quels objectifs raisonnables pouvons-nous nous assigner ? Les neurosciences cognitives nous montrent, si cela était encore nécessaire, que nous ne sommes pas de purs esprits. En effet, nous sommes ancrés dans une matière qui impose ses propres contraintes.
Notre esprit ne peut pas tout faire. En être conscient réduit notre frustration et notre sentiment d’échec. Bref, la métacognition permet de nous connaître nous-mêmes. En ayant conscience de son fonctionnement cognitif, en comprenant « où cela coince » lorsque l’on n’arrive pas à tout faire.
Il faut s’en méfier comme de la peste. Nous sommes tous tentés de faire plusieurs choses en même temps alors que notre cerveau en est incapable. Pour être efficace, il faut être concentré. Se concentrer, c’est précisément ajuster le fonctionnement de son cerveau pour le spécialiser pour une tâche à réaliser bien précise. A titre d’exemple, on ne peut pas compter le nombre de « « e » dans un texte et comprendre le sens de celui-ci – nos neurones ne peuvent pas faire deux choses à la fois.
A noter que lorsque nous exécutons une tâche, nous avons besoin d’informations immédiatement accessibles. Pour cela, nous faisons appel à notre mémoire qui doit être réactivée, ce qui prend du temps. Les interruptions ont, là également, un coût non-négligeable puisqu’après chacune d’entre elles, la mémoire doit être réactivée. Appels, notifications, mails… Autant de microcoupures qui nuisent à notre efficacité.
Face au multitâches, mieux vaut donc privilégier le monotâche séquentiel. Et lorsque l’on a besoin de l’attention de quelqu’un, il faut accepter que celui-ci ne peut pas être disponible immédiatement !
C’est une autre raison pour laquelle nous n’avons d’autre choix que de se fixer des objectifs raisonnables. Nous sommes ancrés dans une matière qui impose ses contraintes. Il faut donc respecter le rythme de son cerveau ce qui suppose, là également, de bien se connaître. Travailler de manière tranquille, sans pression temporelle, est in fine beaucoup plus efficace.
Il faut aussi choisir entre action et réflexion : l’une et l’autre sont en effet largement incompatibles. Séquencer très clairement ces deux activités est source d’efficacité.
Oui, fort heureusement, même s'il s'agit davantage de "trucs" qui relèvent du bon sens. Entre autres choses : travailler à la bonne vitesse, faire une tâche à la fois avec une intention claire pour chacune, se laisser du temps lorsque l'on bascule d'une tâche à une autre, choisir son moment pour interrompre son collègue, laisser le numérique à sa place, avec des temps dédiés, surveiller son niveau de stress et de fatigue, bien positionner les tâches exigeantes dans la journée, alterner les tâches faciles et difficiles...
On peut distinguer trois causes principales de distraction : la mémoire prospective, le système préattentif et le circuit de la récompense.
La mémoire prospective, qui concerne ce que l’on ne peut pas s'autoriser à oublier, conduit à des conflits d'intention. En effet, devoir se rafraîchir la mémoire constitue une source de distraction majeure lorsqu’on est en train d’effectuer une autre tâche.
Mais se concentrer sur une tâche bien précise peut s’avérer dangereux : cela implique une focalisation de l'attention au risque de ne pas détecter un danger et de ne pas réagir à temps. Le système préattentif a précisément pour but d’éviter ce risque. Il est assimilable à un radar en permanence opérationnel qui signale tous les événements potentiellement importants à prendre en considération : un bruit soudain, une lumière vive, un grand coup de vent, une voix, une odeur, une douleur, etc. Ce système est dit préattentif car il détecte des événements avant même qu'on y prête attention. Une bonne option, pour rester concentré, consiste à choisir un contexte dans lequel le système préattentif sera le moins sollicité.
Le circuit de la récompense, essentiel à notre survie, tapi au fond de notre cerveau, a pour fonction de déclencher des comportements d'approche vis-à-vis de ce qui nous fait du bien d’une part, et des comportements d'évitement vis-à-vis de ce qui nous fait du mal d’autre part. Ses critères de fonctionnement sont très basiques : manger quand on a faim, boire quand on a soif... S'y ajoute un panel de récompenses et de punitions : le fait d'éviter ces dernières peut aussi être une motivation.
De façon générale, toutes les nouvelles technologies et tous les services qui ont besoin de capter l'attention fonctionnent avec le circuit de la récompense. Leurs concepteurs développent des contenus maximalement plaisants pour le circuit de la récompense : de jolies couleurs, des éléments personnels identifiés grâce aux algorithmes qui analysent notre historique…
Avec le numérique, tout peut être fait partout, sans considération aucune pour le contexte physique : ses courses au travail, son travail à la plage. Auparavant, tout était plus simple car on n'avait pas le choix ! Avec le numérique, il faut savoir choisir… Et choisir, c'est renoncer.
Par ailleurs, les outils numériques nous relient à un univers certes virtuel, mais où il se passe des choses. Nous avons naturellement envie de savoir ce qu'il se passe dans le monde numérique - s'en priver, c'est avoir l'impression de passer à côté de " quelque chose". La nomophobie désigne précisément cette impression. En outre, le numérique sursollicite le circuit de la récompense : nous sommes mécaniquement attirés par tout ce qui nous distrait. Ne surestimons pas notre capacité de résistance !
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