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Concilier innovation et frugalité

De Nicolas Treuvey

Le lundi 19 février 2024

" Innnover " : dans un monde en perpétuelle accélération, ce terme est devenu un mantra dans les entreprises. Sans innovation, pas de nouveaux marchés, pas de nouveaux clients, pas de croissance entend-on souvent.

Mais face à la raréfaction des ressources, l'aggravation du changement climatique et, aussi, face à des demandes de plus en plus pressantes de la part des consommateurs, l'innovation se doit d'être frugale. Un concept qui nous vient des pays émergents nous dit Valérie Mérindol, professeure HDR à Paris School of Business et co-directrice de la Chaire Nouvelles pratiques d'innovation et de créativité (NewPIC).

L’innovation frugale, pour répondre à quel enjeu ?

Un concept né en Inde

La notion d'innovation frugale a émergé en Inde, fort du constat que le modèle d'innovation porté par le monde occidental ne correspondait ni à ce que ce pays pouvait faire, ni à sa façon de faire, ni à ses besoins. Progressivement, le modèle a fini par inspirer un monde occidental en plein changement. Son principe repose sur trois éléments clés indissociables :

Frugalité, simplicité, durabilité

Par ailleurs, l'innovation frugale est dans le « faire ». Ainsi, au-delà du business, de la durabilité et de la rentabilité, sa finalité reste avant tout sociale, sociétale et environnementale. Cette dimension doit habiter l'entièreté du processus, et le mode de projet doit être adapté en conséquence.

En outre, l'ingénierie de l’innovation frugale repose sur la simplicité, la durabilité et la qualité, et non pas le « toujours plus ». Le business model est revisité autour de la notion de partage, laquelle n’est pas seulement entendue au sens de valeur économique. De fait, cette logique de partage est induite par le peu de moyens employés.

Faire mieux avec moins

Au-delà de l’idée de faire mieux avec moins, cette approche apparaît particulièrement séduisante au regard des nouvelles attentes sociétales. Elle a été pensée sur un mode de ressources contraintes, avec des pratiques très différentes des nôtres, de l'amont à l'aval.

L'objectif est de partir des besoins essentiels et d’innover, non pas pour créer de l'envie, mais pour améliorer la vie – d’où les notions de simplicité, d’accessible et d’abordabilité, mais aussi de prise en compte de la santé, de la sécurité, et de la durabilité. Le tout, combiné à des aspects sociaux, communs et désirables.

Dans cette optique, la méthode du techno-push, à la source de nombreuses innovations en Occident, n’a pas sa place. Comment intégrer la technologie dans l’innovation frugale ? Comment combiner sobriété numérique et intelligence artificielle, si consommatrice de ressources ? Le défi est de taille, pour les entreprises. Malheureusement, nombre d'entreprises retiennent surtout l’idée de faire mieux avec moins, dans le modèle d’innovation frugale, sans réellement prendre en compte les autres aspects clés.

Open labs, maker spaces, fab labs… : une variété de formats, d’acteurs et de conceptions de l’innovation frugale

Définir un open lab

Face à la grande variété de tiers-lieux, la chaire NewPIC définit comme open labs ceux qui répondent à ces trois critères au moins :

Du même coup, la notion d'open labs recouvre une grande diversité d'acteurs, comme Station F, MakeSense ou Aura Technology, qui n’ont pas toute la même philosophie, mais des dynamiques communes. De fait, dans un monde d'innovation ouverte, l'enjeu consiste à combiner les ressources et les profils pour casser les silos.

Il existe aussi des lieux dits indépendants. La Paillasse, par exemple, s’est donné pour mission de faire de la science autrement. D’autres maker spaces ont intégré leur business à une dimension communautaire centrale, à l'instar d'ICI Montreuil dédié aux artisans et aux artistes. À l'avenant, La Fabrique, à Strasbourg, est conçue par des entrepreneurs du digital, mais ouverte à la société civile dans l’optique d'offrir le « faire ».

Fab labs, maker spaces et hacker spaces

Quant aux fab labs, ils doivent être labélisés par le MIT, qui promeut l'utilisation d’outils prototypaux très génériques, incluant un partage formalisé de documentations des projets et des bonnes pratiques.

Peuvent aussi être mentionnés les hacker spaces, dont la démarche implique de contourner et de faire de la science autrement, en engageant des profils avec des compétences additionnelles, dans des ateliers ouverts. Cette démarche sort du cadre du laboratoire fermé et de l'obligation d'un recrutement d'enseignants-chercheurs. La notion de propriété intellectuelle n'existe pas, ou très secondairement.

En tout état de cause, les maker spaces collaboratifs sont des modèles d'innovation frugale incarnée au quotidien. Ils permettent de se confronter au réel, pour réutiliser l'existant en vue de l'améliorer. Ce mode de faire contraint, aux ressources limitées, focalisé sur le besoin de l’utilisateur plus que sur le produit ou le service, favorise le partage de connaissances.

Un modèle inspirant pour les grandes entreprises ?

Des initiatives individuelles

La plupart des open labs – qui incarnent l'innovation frugale dans son acception la plus stricte – ont été portés par des initiatives individuelles avant de devenir collectives, par des personnes désireuses de rompre avec ce qui se pratiquait dans les entreprises et mues par le désir de faire les choses autrement et de les maîtriser, hors des modèles préétablis.

Les communautés qui les constituent se caractérisent par des valeurs partagées et une volonté de redonner du sens à leur activité.

Bureaucratie vs. innovation frugale

Trop souvent encore, dans les entreprises, l'excès de bureaucratie limite le retour à l'innovation frugale. Le sens n’est pas non plus toujours au rendez-vous, a fortiori lorsque le choix de faire mieux avec moins vise à faire plus de business.

Celles qui veulent réellement entrer dans l'innovation frugale peuvent s'inspirer de ce qui existe, mais doivent surtout construire leur propre modèle, l’innovation frugale étant tout à la fois un mode d’organisation et un état donc un élément de culture.

Les entreprises peuvent aussi imiter des pratiques d'open labs dans leurs propres laboratoires, à condition que celles-ci se diffusent dans le reste de l'organisation.

Faire de la frugalité un prérequis

Introduire systématiquement et d’emblée la notion de frugalité, au-delà de simplement vouloir faire mieux avec moins, s’avère également essentiel. Il est également possible de valoriser ce type de comportement par l'autonomie, en donnant plus d'espace à chacun pour se réaliser. En la matière, les managers ont un rôle clé d'intermédiaires à jouer.

Enfin, questionner la ligne hiérarchique et faire preuve d’exemplarité est également indispensables pour engager les collaborateurs.

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