La dimension psychologique est désormais pleinement prise en compte dans le sport de haut niveau : psychologues, coaches sont omniprésents aux côtés des athlètes, tant dans le sport individuel que dans le sport collectif. Ainsi du rugby, sport d'équipe par excellence, où la victoire n'est jamais individuelle, mais le fruit du travail d'un groupe soudé qui a su dépasser les "je" pour construire un "nous" tendu vers un même objectif.
Pour Mickaël Campo, maître de conférences à la Faculté des sciences du sport de l’Université de Bourgogne, président de la Société française de psychologie du sport et responsable de la préparation mentale de l'équipe de France de rugby, le sport a beaucoup à apprendre aux entreprises en matière de management.
La Fédération française de rugby utilise beaucoup la théorie de l’identité sociale, qui se focalise sur les relations entre groupes sociaux plutôt que sur les relations entre individus et groupe d’appartenance. Très simplement, le groupe contribue au « renforcement » de l’individu, et inversement, comme le montre l'exemple d'Emilien Gailleton.
Emilien Gailleton est un jeune rugbyman évoluant à Pau, appelé par le XV de France en prévision de la coupe du monde de 2023. Il est par ailleurs capitaine de l’équipe de France des moins de 20 ans. Il a donc trois identités ; il a participé aux entraînements de trois groupes de très haut niveau. Or chaque appartenance à un groupe, à un sous-groupe, a ses propres enjeux. Plus on y adhère, plus les enjeux du groupe deviennent les nôtres… et plus le sentiment d’appartenance à un groupe se renforce.
Le groupe protège l’individu, l’individu aide le groupe, dans une dialectique vertueuse, dans un équilibre entre le « je » et le « nous ». Un « je » et un « nous » qui sont naturellement influencés réciproquement par l’un et l’autre. Cette dialectique est présente, à peu près de la même manière, dans le monde de l’entreprise : on appartient à une entreprise, on appartient à une équipe, on appartient à un collectif que nous influençons, alors même que nous sommes influencés par le collectif.
Encore faut-il que tous soient alignés sur la notion de performance, que celle-ci revête le même sens pour chacun. Cela ne va pas de soi : est-ce, par exemple, le chemin ou le résultat qui est important ? Est-ce que la défaite de la France en quart de finale de la Coupe du Monde de rugby est une contre-performance, une remise en cause du modèle français ou un accident de parcours ? Dans quelle mesure cette défaite va permettre à l’équipe de France de rebondir et, in fine, de gagner ? Le simple fait que la France gagne désormais 80% de ses matches n’est-il pas, en soi, la seule victoire qui compte ?...
De la même manière, il faut que chacun s’entende sur ce que performance individuelle et performance collective veulent dire… et si l’on vise plutôt la première ou plutôt la seconde. Là également, cela ne va jamais de soi – il faut en discuter. Et si l’on décide de mettre l’accent sur la performance individuelle, il faut s’entendre sur ce que l’on mesure : la performance pure ou ce que l’individu concerné apporte au collectif.
On le sait : un collectif se construit et une équipe de rugby de haut niveau n’y fait pas exception. L’équipe de France, c’est 40 joueurs, 30 accompagnateurs. Un collectif important donc, qui va se bâtir peu à peu : à travers la contribution de chacun et, aussi « en opposition » : une équipe de rugby n’existe parce qu’il y en a d’autres à battre…
A la FFR ce sont les deux couches de l'identité sociale qui sont travaillées. Certains moment sont réservés à l’expression du ressenti des joueurs, sans jugement. Ce sont des moments de redescente émotionnelle, indispensables pour que les joueurs (donc le collectif) repartent légers pour le prochain match. En parallèle, on travaille le collectif : en réfléchissant au contexte émotionnel du futur match, à la manière dont on peut renforcer la cohésion du groupe, à la façon dont on va parvenir à franchir la future marche permettant d’accéder au très haut niveau, etc.
On doit cette théorie au psychologue Henri Tafjel (1919-1982). Selon lui, l’identité sociale permet de mettre en évidence les processus psychologiques impliqués dans le changement social. Il intègre dans sa théorie trois processus fondamentaux : la catégorisation sociale ; l’auto-évaluation à travers l’identité sociale ; la comparaison sociale inter-groupe. Ceux-ci permettent d’expliquer différentes formes de comportements groupaux.
La théorie de l’identité sociale est utilisée comme cadre de référence pour comprendre et expliquer des phénomènes collectifs tels que les émeutes ou le hooliganisme. Elle se définit comme « les aspects de l’image de lui-même d’un individu qui proviennent des catégories sociales auxquelles il perçoit qu’il appartient ». Cette définition conduit Tafjel à formuler plusieurs affirmations :
Tajfel dérive trois principes théoriques de ces affirmations :
Sur ces bases, Tafjel formule l’hypothèse que la pression à l’évaluation positive de son propre groupe, via la comparaison sociale avec d’autres groupes, amène les groupes sociaux à tenter de se différencier positivement les uns des autres.
On atteint la performance et l’excellence grâce à la capacité d’entraînement des individus, grâce à leur leadership donc. En rugby, les joueurs sont évalués sur leurs qualités de leaders, l’objectif étant de repérer les fameux cadres qui entraîneront le groupe vers la victoire.
On en arrive à un constat simple, mais essentiel : c’est en portant de l’attention aux personnes, au facteur humain, que l’on gagne en performance. Il faut, de ce fait, développer conjointement le sentiment d’appartenance, la compétence et, enfin, l’équilibre et le bien-être.
En définitive, l’optimisation du potentiel humain repose sur la création du sens du « nous » à la FFR, et en aucun cas sur la glorification des individualités même si une totale attention est portée au « je ». Ce qui est vrai dans le monde du rugby l’est aussi, assez largement, dans le monde de l’entreprise.
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