« Le client a toujours raison ». Cette vieille maxime du commerce se heurte, depuis quelques années, à la multiplication de comportements déviants, voire inacceptables chez les clients. Et lorsque la ligne rouge est franchie, le personnel au contact en subit les conséquences…
Pour comprendre ce phénomène, nous avons rencontré Jean-Baptiste Suquet. Professeur à Neoma Business School, il est le co-auteur de l’article Knocking Sovereign Customers of Their Pedestal ? When Contact Staff Educate, Amateurize and penalize deviant customers (Human Relations, 2021) précisément consacré à cette question.
Jean-Baptiste Suquet – Les exemples de comportements déviants sont simples à trouver du fait de leur fréquence et de leur présence assez large. Les grandes surfaces comme les services publics par exemple subissent des incivilités. Il n’est donc pas étonnant que les organisations soient nombreuses à s’interroger sur les comportements déviants de leurs clients. Partant, cela les conduit à réfléchir à la place et au pouvoir qu’elles donnent à ceux-ci.
JBS – Non : il peut s’agir de personnes estimant avoir du pouvoir, ou, à l’opposé, de populations précaires. Le comportement de DSK dans un Sofitel new-yorkais est une forme de comportement déviant. Un quidam voyageant en classe économique et insultant une hôtesse l’est tout autant. Dans un cas comme dans l’autre, nous sommes face à un client-roi. Ces comportements peuvent être sans conséquence, mais ils tournent parfois au drame. Un employé d’une boutique de téléphonie a ainsi été poignardé, dans son magasin, pour une broutille. Il en est mort…
JBS – L’article que j’ai écrit avec Aurélien Rouquet tente d’apporter quelques réponses. Même si elles veulent conserver leurs clients et les satisfaire, toutes conviennent que certaines lignes rouges ne peuvent pas être franchies. Elles réagissent donc de différentes manières. A noter néanmoins que certaines d’entre elles tolèrent à peu près tout : lorsque, par exemple, on veut fidéliser ses clients ou élargir sa base de clientèle, les comportements déviants sont très largement tolérés.
JBS – Certaines choisissent la voie de l’éducation, principalement là où les comportements déviants sont fréquents, mais ne portent pas réellement à conséquence. En cas d’incivilités par exemple, on choisit d’éduquer. A La Poste, dans les services publics… c’est cette voie qui est privilégiée. Le but est clair : faire en sorte que les salariés n’aient pas à subir au quotidien des « petites » incivilités qui deviennent insupportables de par leur répétition.
Là où les produits sont très travaillés, très techniques, les enjeux sont des enjeux d’expertise. Dans l’automobile, la maroquinerie…, certains clients, en toute bonne foi, estiment en savoir plus que l’entreprise. Ils contestent alors l’avis de celle-ci, parfois de manière véhémente. Celle-ci se dote alors de services d’experts, pas toujours nombreux, capables d’apporter une réponse infaillible.
JBS – Oui. Celle-ci est utilisée face à des cas très graves (des violences aux personnes par exemple). Elle peut prendre des formes très variées : interdiction d’accès à un établissement, dépôt de plainte, radiation d’un programme de fidélité… La sanction n’est possible que si l’entreprise sait suivre le cadre réglementaire et, aussi, a pensé en amont l’environnement de la relation client. Il faut créer les conditions de l’effectivité de la sanction. Comment interdire par exemple l’accès d’un client à un spa si les entrées ne sont pas filtrées ? Le premier problème de la sanction, c’est son application.
JBS – Oui, effectivement. Ce terme de déviance est un mot très fort, qui peut heurter certains. C’est précisément pour cela qu’il faut l’utiliser. C’est, en un sens, un prétexte pour repenser la relation client.
JBS - La déviance est un révélateur de la relation client, c’est un poil à gratter qui met en lumière des éléments sur lesquels l’entreprise doit se positionner. La déviance signale par ailleurs « quelque chose » de potentiellement plus grave, qu’il faut prévenir. Dit autrement, les comportements déviants ne sont-ils pas le symptôme d’une zone de risque potentiel ?
Par ailleurs, réfléchir sur les déviances oblige à expliciter ce que sont les clients avec lesquels l’entreprise travaille. Le professeur de marketing Bernard Cova (KEDGE Business School) et ses collègues ont ainsi étudié une mutuelle de motards. Les agents au contact avaient construit une culture métier particulière aboutissant à ranger les clients en deux catégories : les motards et ce qu’ils appelaient les « scootéristes », avec lesquels les relations n’étaient pas bonnes. Ces « scootéristes » ne répondaient pas à la figure idéale du motard et n’étaient de fait pas considérés comme des « bons » clients. Il a donc fallu se pencher à nouveau sur l’identité de tous les clients de la mutuelle, expliciter la relation client et modéliser celle-ci. Cette modélisation constitue le troisième étage de la réponse.
JBS - Le modèle de la relation client qui est ainsi établie doit enfin être challengé. Le Covid par exemple a eu un impact énorme sur la relation client : les clients doivent-ils porter un masque ? Quelle distance minimale conserver ?... Le Covid n’avait pas été envisagé, son impact sur la relation client non plus. C’est en un sens un impensé qui a permis de challenger la relation client. Lorsqu’ils surgissent, il faut se saisir de ces impensés.
JBS – De façon générale, on peut retenir que les comportements déviants résultent d’une interaction entre des facteurs situationnels et des facteurs individuels. Très simplement, un magasin de bricolage du sud de la France dont la cour des matériaux est en plein soleil subira peut-être plus de comportements déviants que les autres. Encore plus si ses clients ont été coincés dans des bouchons en venant. Encore plus encore si ce sont des familles, se rendant des enfants énervés parce qu’ils ont eu chaud sur le trajet… Malheureusement, l’entreprise ne peut pas agir sur toutes ces composantes !
JBS – La digitalisation crée des espaces organisationnels nouveaux où les consommateurs adoptent d’autres comportements. Dans certains cas, les entreprises doivent affronter des comportements déviants inacceptables, tellement inacceptables qu’ils ne seraient jamais apparus dans une relation client « classique ». Les insultes à caractère raciste par exemple sont plus présentes sur le Web que dans une classique relation en face-à-face. Mais, à l’inverse, la digitalisation ouvre la voie à de nouvelles formes de régulation et de résolution des conflits.
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