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IA et économie circulaire : entre promesses et défis

De Nicolas Treuvey

Le mercredi 8 janvier 2025

Les interactions entre l'IA et l'économie circulaire peuvent être explorées à travers des cas d'usage qui montrent que la première peut être effectivement mise au service de la seconde. Mais cela a un coût : économique, écologique ou encore éthique. Dans certains cas, le coût est supérieur au bénéfice. Pour Louis Vuarin, enseignant-chercheur à EM Normandie, IA et économie circulaire ne forment donc pas systématiquement un couple vertueux.

 

Applications et cas d’usage de l’IA dans l’économie circulaire

Premier domaine dans lequel l’IA peut être mise à contribution, celui de la logistique inversée. Cette pratique vise à réintégrer des produits dans le cycle économique pour prolonger leur durée de vie. Grâce à ses capacités d'analyse des données massives et de prévision, l'IA améliore cette logistique. Par exemple, des algorithmes prédictifs permettent d'anticiper les taux de retour des produits et d’identifier leurs causes de défaillance.

 

Dans les chaînes d'approvisionnement circulaires, l'IA optimise la gestion des flux de matériaux et des stocks. Les systèmes de planification prédictive, en adaptant les approvisionnements aux besoins, réduisent les déchets et les surproductions. Ils anticipent les pénuries ou les surcapacités, assurant ainsi une meilleure gestion des ressources.

 

L'IA, associée à la robotique, améliore également le tri des déchets. Des algorithmes de vision par ordinateur permettent de reconnaître et de trier automatiquement les matériaux recyclables, améliorant ainsi la précision et la vitesse des processus.

IA symbolique et IA connexionniste

Deux types d'IA structurent ces avancées : l'IA symbolique et l'IA connexionniste. L'IA symbolique repose sur des systèmes experts et des règles explicites (« si-alors »). Bien qu’explicables, ces modèles sont lourds à coder et limités en prédictibilité. L’IA connexionniste, qui domine depuis 2010 et qui est celle que l’on trouve dans les IA grand public actuels (ChatGPT en tête), inclut les réseaux de neurones. Cette approche est plus efficace mais soulève des problèmes d’explicabilité et de transparence.

 

Dans l’économie circulaire, l’IA connexionniste peut être utilisée pour plusieurs applications. Les agents conversationnels, par exemple, créent des guides interactifs facilitant les réparations et réduisant le gaspillage. La reconnaissance d'images est cruciale pour le tri automatisé des déchets ou la détection de défauts dans les matériaux. L'IA permet aussi d'évaluer simultanément des critères environnementaux, économiques et sociaux lors de la planification des activités circulaires.

 

L’exemple de la robotisation du tri des déchets est particulièrement parlant. Des robots dotés de systèmes d’IA identifient et trient différents matériaux, comme le carton, le plastique ou l’aluminium. Ces robots, capables de trier treize types de matériaux avec des taux de pureté élevés, offrent deux avantages principaux : réduire les coûts de main-d’œuvre et améliorer les conditions de travail des opérateurs. Cependant, des défis techniques subsistent, notamment en matière de qualité des images et de durabilité des technologies.

Perspectives et limites

L’IA ouvre des perspectives prometteuses pour l’économie circulaire, mais elle soulève aussi des défis importants, notamment celui de l’explicabilité . Les algorithmes connexionnistes manquent de transparence, ce qui complique leur adoption et l’interprétation des décisions qu'ils prennent. Les coûts de maintenance constituent un autre obstacle majeur. Les mises à jour régulières des systèmes et des bases de données nécessitent des investissements substantiels en ressources humaines et financières. De plus, l’efficacité des solutions dépend fortement de capteurs de haute qualité et d'infrastructures numériques performantes.

 

Quant au coût écologique, il est connu : une IA connexionniste nécessite beaucoup d’énergie ; les serveurs doivent être constamment refroidis. En définitive, le bilan écologique d’une solution à base d’IA en faveur de l’économie circulaire peut être neutre, voire négatif. C’est particulièrement le cas lorsque l’on utilise des modèles pré-entraînés, comme ChatGPT, repose sur de grandes bases de données, mais son coût écologique est élevé en raison de l'énergie nécessaire à leur entraînement initial. Le développement de modèles spécifiques, bien que plus écologique, nécessite également des ressources importantes.

 

Sans oublier le coût social : l'entraînement des modèles repose souvent sur des tâches répétitives effectuées par des « travailleurs du clic ». Ces tâches sont externalisées dans des pays à bas coût de main-d'œuvre, ce qui soulève des préoccupations sur l'exploitation humaine, notamment (mais pas seulement) dans les pays francophones d’Afrique pour les modèles en français.

 

Sur le plan réglementaire, l’AI Act de l’Union européenne vise à classer les systèmes d’IA en fonction de leur niveau de risque. Certains usages, comme la reconnaissance faciale, sont interdits, tandis que d’autres, jugés à risque élevé, font l'objet d'exigences strictes en matière de transparence et d’explicabilité. Cette obligation d’explicabilité pose un défi pour les acteurs de l’économie circulaire, qui pourraient être soumis à des procédures coûteuses et risquées, sans lignes directrices claires.

 

Enfin, le manque de lobbying des acteurs de l’économie circulaire auprès des institutions européennes limite leur capacité à souligner les bénéfices sociétaux et environnementaux de leurs applications. Cela complique l'allègement de certaines obligations réglementaires.

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