Le changement climatique n’est plus une menace lointaine : ses effets sur la santé au travail se manifestent déjà, de manière directe et indirecte. Des risques physiques liés à la chaleur aux troubles de santé mentale comme l’éco-anxiété, en passant par la baisse de productivité au travail, les conséquences sont multiples et doivent être pris en compte par les employeurs dans leur cartographie des risques. Fort heureusement, il est encore temps d'agir nous dit Kévin Jean, épidémiologiste, titulaire de la Chaire de professeur junior «Santé et changements globaux» à l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm. Des actions qui produisent des co-bénéfices pour la santé humaine et le climat.
Depuis plusieurs années, des rapports internationaux, comme ceux de l’Organisation internationale du travail et de l’Anses en France, alertent sur les risques sur la santé induits par le changement climatique. Trois mécanismes sont identifiés : la hausse des températures, la modification de l’environnement biologique et chimique, et la multiplication des phénomènes climatiques extrêmes. Ces éléments augmentent les risques professionnels et peuvent être à l’origine d’accidents de travail.
La chaleur agit en effet directement sur l’organisme en perturbant les mécanismes de thermorégulation. Le corps tente de maintenir une température interne stable à travers la vasodilatation et la transpiration mais, sous des conditions de chaleur et d’humidité extrêmes, ces mécanismes deviennent inefficaces, provoquant des épuisements, des coups de chaleur et des décès par hyperthermie. Les travailleurs effectuant une activité physique intense sont particulièrement exposés, notamment dans les secteurs du bâtiment, de l’agriculture et des livraisons en milieu urbain. Toutefois, l’ensemble des professions est concerné, notamment en raison de la dégradation du sommeil liée aux nuits chaudes, qui accroît le risque d’accidents et de troubles psychosociaux. Des études récentes en Espagne et aux États-Unis ont montré une augmentation de 10 % des accidents du travail les jours de forte chaleur.
Outre les accidents, la chaleur exacerbe les risques psychosociaux. Une plus grande irritabilité et un sommeil de moindre qualité peuvent dégrader les relations de travail et augmenter les tensions, en particulier dans les professions en contact avec le public. En France, une évaluation de l’Anses a indiqué que sur les 17 grandes familles de risques professionnels, 15 seront aggravées par le réchauffement climatique. Seuls le bruit et les rayonnements non ionisants échappent à cette tendance.
En termes de productivité, le changement climatique entraîne déjà des pertes équivalentes à celles observées pendant la crise du COVID-19. On estime que chaque année, environ 150 millions d’équivalents temps plein sont perdus en raison des conditions climatiques extrêmes. Certaines mesures d’adaptation, comme le décalage des horaires de travail vers les heures les plus fraîches, sont envisagées, mais elles restent limitées et ne permettent pas de compenser totalement ces pertes.
La santé mentale, affectée par le climat, inclut des phénomènes tels que le stress post-traumatique lié aux catastrophes climatiques et l’éco-anxiété, qui se traduit par de la peur, de l’angoisse ou de la colère face à la crise climatique et environnementale. Cette anxiété n’est pas une maladie en soi, mais elle peut être associée à des troubles cliniques tels que l’anxiété et la dépression. Contrairement à certaines idées reçues, l’éco-anxiété ne concerne pas uniquement les populations favorisées. Une vaste étude menée dans dix pays a révélé que près de la moitié des jeunes ressentent des impacts fonctionnels de l’éco-anxiété dans leur vie quotidienne.
Ce phénomène est particulièrement marqué dans des pays du Sud global, comme les Philippines, le Nigeria et l’Inde, plus encore que dans les pays du Nord. De plus, 60 % des jeunes interrogés expriment un sentiment de trahison par leur gouvernement face à la crise climatique, contre seulement 30 % qui leur font confiance : il y a là une potentielle bombe politique en devenir si rien ne change.
Mais certaines études montrent que l’éco-anxiété peut être un tremplin vers l’action. Les personnes ressentant une anxiété face au climat sont plus enclines à s’engager individuellement ou collectivement dans des initiatives environnementales. De plus, une étude américaine a mis en évidence que l’action collective peut agir comme un tampon face aux effets négatifs de l’éco-anxiété, en réduisant les symptômes cliniques d’anxiété ou de dépression.
En 2022, le sixième cycle d’évaluation du GIEC a mis en évidence les effets observés du réchauffement climatique sur les systèmes humains et les sociétés. Le rapport classe les impacts en plusieurs catégories : eau, production alimentaire, santé et infrastructures humaines.
En matière de santé, les impacts sont principalement négatifs et concernent les maladies infectieuses, la chaleur, la malnutrition, la santé mentale et les déplacements de populations. Toutes les régions du monde sont affectées, y compris l’Europe, où les conséquences du réchauffement sont bien documentées. L’un des effets les plus manifestes est l’impact sur la santé mentale, qui dépasse la simple éco-anxiété. Ces effets sont déjà observables aujourd’hui et pourraient devenir catastrophiques dans un scénario de réchauffement non contrôlé atteignant +2°C, +3°C voire +4°C.
Les conséquences du changement climatique sur la santé sont multiples. Elles incluent les risques liés à la chaleur, les modifications de la qualité de l’air, l’intensification de la pollution atmosphérique et la propagation accrue de maladies infectieuses. En général, le réchauffement climatique favorise la transmission des maladies plus qu’il ne la réduit. D’autres impacts concernent la sécurité alimentaire et la résilience des systèmes de santé, ces derniers étant fragilisés par les événements climatiques extrêmes.
Cette convergence peut constituer un levier d’action collectif puissant, notamment dans le cadre professionnel. On le sait : pour répondre à la crise climatique, il est nécessaire de réduire la place des énergies fossiles, de privilégier les transports moins polluants et de limiter la consommation de produits carnés. Cependant, ces mesures impliquent des efforts immédiats pour des bénéfices climatiques qui ne se manifesteront qu’à long terme, ce qui constitue un frein à l’action.
De plus, la perception des coûts et des bénéfices est un obstacle majeur. Si une région ou un pays agit seul, l’impact climatique global demeure limité. Ce constat favorise une stratégie du passager clandestin, où chacun attend que les autres agissent. En revanche, lorsqu’on intègre la perspective de la santé, la donne change : les mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre apportent des bénéfices sanitaires immédiats, indépendamment des actions des autres pays... ou, même du point de vue de l’individu.
Ainsi, la diminution des énergies fossiles améliore la qualité de l’air, le développement des transports actifs (marche, vélo) augmente l’activité physique, la réduction de la consommation de produits carnés diminue les risques de maladies chroniques... Ces bénéfices sanitaires sont immédiats et perceptibles à l’échelle locale, contrairement aux effets climatiques à long terme. C’est ce que l’on appelle des co-bénéfices, profitant à l’environnement, d’une part, et à la santé de chacun, d’autre part.
Dans le monde professionnel, cette convergence peut se traduire par des initiatives concrètes. Par exemple, la promotion du vélo comme moyen de transport domicile-travail a un impact positif sur la santé des collaborateurs, réduisant les absences et les accidents du travail. Un label « employeur pro-vélo » a déjà été mis en place par l’Ademe et l’AFUB pour encourager cette pratique. De même, les politiques de restauration en entreprise peuvent favoriser une alimentation plus durable, avec des réductions des apports carnés bénéfiques à la fois pour la santé et le climat. Il est essentiel que ces actions ne se limitent pas à un simple constat des impacts du changement climatique sur la santé. Un discours purement alarmiste peut engendrer du déni ou du désespoir. Identifier des leviers d’action concrets permet de transformer l’éco-anxiété en moteur d’engagement.
Enfin, les entreprises doivent éviter des positionnements ambigus. Certaines affichent des engagements climatiques tout en continuant à financer des activités à forte empreinte carbone. De tels paradoxes peuvent générer des conflits de valeurs chez les salariés, augmentant les risques psychosociaux. La cohérence entre le discours et les actions est donc essentielle.
Adopter une perspective de santé publique en complément de la perspective climatique permet donc de recadrer le débat sous un angle plus favorable à l’action. Cette approche réconcilie les échelles temporelles et géographiques en mettant en évidence des bénéfices sanitaires à court terme qui ne dépendent pas d’une action mondiale coordonnée. Ces politiques « sans regret », en intégrant les enjeux de santé et de climat, constituent une opportunité majeure pour la transition vers une société plus durable.
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