Primes sur objectifs, bonus, avantages... Les entreprises utilisent largement les leviers permettant de récompenser la performance individuelle de chacun. Cette recherche d'équité - au détriment, parfois, de l'égalité de traitement - est certes séduisante sur le papier mais pas exempte d'effets de bord contre-productifs nous dit Denis Monneuse, enseignant-chercheur à l'Université Catholique de l'Ouest qui a animé une formation de l'Anvie sur ce sujet.
L’individualisation des rémunérations est devenue une pratique extrêmement courante dans les entreprises, qu’elles soient privées ou publiques. La part individuelle de la rémunération peut être composée d’éléments nombreux, différents les uns des autres. Certains sont monétaires, d'autres non ; certains sont versés immédiatement, d'autres plus tard - songeons par exemple à la participation, qui peut être placée.
En définitive, des personnes exerçant la même activité, avec la même ancienneté, avec la même performance, n’auront pas toujours, voire auront rarement, le même package.
Si la rémunération individuelle vise à récompenser les individus au plus près des efforts accomplis et de la performance atteinte, elle peut avoir des effets de bord. Comme l’a montré Sophie Bernard (Le nouvel esprit du salariat, PUF, 2020), les managers pourront avoir tendance à répartir l’enveloppe globale entre tous les membres de l’équipe, à faire du saupoudrage donc, afin d’éviter les problèmes. On achète alors la paix sociale, on ne récompense plus le mérite.
Un mérite somme toute subjectif qui, de ce fait, peut créer de l’injustice et générer de la discrimination. Le manager en effet aura tendance à donner des primes à celles et ceux dont il se sent le plus proche, et pas aux meilleurs. Et à compétences et performance égales, les hommes seront mieux récompensés que les femmes… tout particulièrement si les managers sont des hommes.
Sophie Bernard a également observé que l’individualisation produit des effets ambivalents. Si elle est censée être un vecteur d’engagement, elle peut produire de la démotivation chez celles et ceux qui n’ont pas de prime ou qui estime que la prime obtenue est insuffisante. Le manager doit alors gérer déceptions et frustrations.
Pour sa part, Elise Penalva-Icher a montré (La frustration salariale – A quoi servent les primes ? SUP, 2024), que, parfois, les nouveaux entrants sont mieux payés que les anciens : là où les compétences sont pénuriques, on cherchera à attirer les candidats en pratiquant des salaires plus élevés.
L’individualisation, en outre, est utilisée pour envoyer des signaux. Lorsque l’on donne – et surtout lorsque l’on ne donne pas – une prime, le collaborateur concerné peut en déduire que l’entreprise ne souhaite pas le garder, ou ne mise pas sur lui. Ce qui est un puissant vecteur de démotivation.
Elise Penalva-Icher souligne par ailleurs combien les managers éprouvent des difficultés à justifier les décisions relatives aux primes : rien d’étonnant à cela dans la mesure où ils ne les maîtrisent pas entièrement - ce ne sont pas toujours eux qui décident du montant de l’enveloppe d’augmentations en particulier. Autre enseignement issu de cet ouvrage : les primes collectives génèrent plutôt de la satisfaction. La cohésion de l’équipe s’en ressent car chacun estime que cette prime résulte d’un travail collectif.
87% des personnes interrogées par cette chercheuse disent discuter de leur salaire avec leurs collègues. Les managers et les RH sous-estiment le partage d’informations en la matière ! S’ils le font, c’est parce que les rémunérations sont de plus en plus complexes et individualisées – ils ont besoin d’un benchmark. Ils veulent aussi mieux évaluer le montant de leur rémunération et, aussi, leur place dans les organisations et dans la division du travail.
Socle de la rémunération variable, le management par objectifs fonctionne… mais n’est pas sans effets pervers également. Il doit reposer sur cinq conditions :
A noter enfin qu’un objectif est motivant uniquement s’il est « smart » : spécifique, mesurable, ambitieux/atteignable, réaliste/pertinent, temporel.
La question n’est pas si saugrenue que cela, certaines – rares – entreprises ayant décidé d’emprunter cette voie. Ainsi de LDLC chez qui les commerciaux n’ont plus de primes après que l’entreprise a constaté des effets pervers : une fois les objectifs mensuels atteints, les commerciaux ne travaillaient plus… ou attendaient le mois suivant pour facturer les clients. LDLC a donc décidé de réintégrer la moyenne des primes dans les salaires fixes.
Pour autant, les primes de performance individuelle concernent de plus en plus de monde en France : 22% en 1994, presque le double 20 ans plus tard. Toutes les CSP sont concernées, comme 45% des actifs. 54% des dirigeants disent pratiquer la rémunération variable. Des dirigeants qui estiment, dans 80% des cas, que celle-ci renforce la performance globale. 70% des salariés pensent la même chose. Dans le même temps, 60% des salariés assimilent le variable à une source de stress et un vecteur de compétition avec leurs collègues. Au final, seule une petite moitié des salariés sont favorables à la rémunération variable.
La recherche s’intéresse beaucoup aux effets pervers de cette forme de rémunération. Demander par exemple à des chauffeurs de bus de finir leur tournée au plus vite est très dangereux ! Rémunérer des codeurs à la ligne peut conduire ceux-ci à écrire énormément de lignes… mais qui ne veulent rien dire. Attention aux stratégies mises en place par les salariés pour atteindre les objectifs !
Maya Beauvallet (Les stratégies absurdes, Seuil, 2009) montre, dans son ouvrage, que les objectifs qui ne sont pas rémunérés peuvent facilement être mis de côté, voire oubliés. Et certains objectifs peuvent être atteints uniquement sur le papier : pensons à ceux accolés aux politiques de D&I, on peut très bien recruter davantage de femmes… tout en laissant perdurer des comportements sexistes.
Aussi, la rémunération à la performance n’est pas sans limites :
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