La croissance exponentielle du nombre des informations qui nous parviennent explique-t-elle pourquoi nous avons constamment l'impression de nous sentir fatigués, dépassés ? Pour Albert Moukheiber, psychologue clinicien, chargé de cours à Paris-8 et auteur de Votre cerveau vous joue des tours (Allary, 2019), le problème est ailleurs.
Albert Moukheiber – Rien n’est moins certain : il est très difficile de quantifier le volume d’informations auquel les individus sont exposés et, surtout, à quel volume ils étaient exposés avant. Sans oublier le fait que de la plupart des informations que nous manipulons ne sont plus stockées dans notre cerveau : elles sont externalisées sur des disques durs, des serveurs, nos smartphones… Il n’en a pas toujours été ainsi : avant l’invention de l’écriture, les individus n’avaient d’autre choix que de conserver dans leur cerveau toutes les informations dont ils avaient besoin. Aujourd'hui en revanche, on peut tricher : nous n'avons plus besoin de tout retenir, tout savoir par cœur. En définitive, il n’est pas du tout certain que nous traitions davantage d’informations.
A.M. – Notre cerveau n’est pas du tout dépassé. Le cerveau, c’est un organe de l’action et de préparation de l’action et, de ce point de vue, rien ne change. En revanche, la problématique informationnelle pose de réels problèmes sur notre capacité à coopérer, à vivre et travailler avec les autres. En effet, on nous demande d’avoir une opinion sur tous les sujets pour lesquels des informations sont disponibles, ce qui est évidemment impossible. Comme on ne sait pas, on a tendance à exprimer des opinions très tranchées – collaborer, donc faire consensus, devient alors particulièrement périlleux.
A.M. – Oui, car notre cerveau a besoin de temps pour trier les informations et les comprendre. La véritable infobésité, c’est celle de la diversification informationnelle : nous travaillons et, dans le même temps, nous recevons une notification d’un site d’informations, nous recevons un appel téléphonique, un SMS arrive, puis un message WhatsApp… Tout ceci nuit à notre agentivité, à notre capacité à contrôler les informations qui nous parviennent.
A.M. – Le cerveau doit, tout le temps, prendre des décisions. Pour gagner du temps, il a tendance à prendre les décisions les plus simples, car les moins énergivores. De fait, il peut parfois agir à notre insu.
C’est un organe conçu pour l’action. Pour cela, il a besoin de règles lui permettant de comprendre l’environnement et prendre les bonnes décisions. Dès les premiers mois de la vie, le cerveau par exemple « sait » qu’un objet, si on ne le déplace pas, restera toujours au même endroit. L’existence de ces règles touche des problématiques plus ou moins complexes.
Lorsqu’il est exposé à une information, le cerveau va chercher à l’intégrer dans ses règles et dans ses modèles afin de pouvoir la traiter. Rien ou presque ne reste à l’état d’information pure : toutes sont intégrées à un modèle de croyances puis transformées en intentions, donc en actions, sans que cela soit systématique. Qui ne s’est pas dit « il faut vraiment que je me remette à faire du sport » et ne l’a jamais fait ?
La cognition humaine est incomplète par nature. Nous ne le voyons pas, nous avons l’impression que nous maîtrisons parfaitement notre environnement. Pourquoi ? Parce que notre cerveau « bouche des trous » : il développe des fausses histoires, de la narration et nous fait croire que nous voyons tout, que nous entendons tout. Personne n’est en capacité de se souvenir de tout ce qu’il a vécu la veille ; nous en sommes néanmoins persuadés, car notre cerveau a développé un storytelling particulièrement convaincant. Storytelling qui concerne la réalité toute entière… De fait, notre perception de la réalité est à la fois tronquée et fausse.
Cet état de fait devient un problème lorsque l’information accessible et disponible est très importante. Notre cerveau peut aller piocher n’importe où pour construire une réalité : dans des informations pertinentes, et dans des informations non-pertinentes. On peut donc légitimement se demander si toutes les informations qui nous parviennent sont nécessaires, voir si elles ne sont pas contre-productives. On peut tout aussi légitimement se demander si nous devons avoir une opinion sur tout, et si cette opinion doit forcément être tranchée.
A.M. – C’est un organe comme un autre : il peut être fatigué, vivre des périodes de surchauffe qui tendent à devenir la norme en raison, selon moi, de l’excès d’informations générées par la foule de sollicitations sociales auxquelles nous sommes soumis. Cela n’a jamais existé auparavant : certains d’entre nous sont en interaction avec des centaines de personnes au cours d’une même semaine ; c’est autant de sollicitations auxquelles il faut répondre, de surcroît rapidement. On nous demande donc de la performance : nous avons le sentiment de ne jamais être suffisamment performants ce qui génère en retour du stress et de l’anxiété. Anxiété qui, elle-même, génère de la catastrophisation (tout apparaît comme étant négatif) et de l’hypervigilance (tout devient important, sans hiérarchisation aucune). Bref, l’hypersollicitation performative est probablement le principal problème – ce n’est pas l’infobésité en tant que telle.
A.M. – Nous devons nous demander si nous avons véritablement besoin de transmettre autant d’informations aux autres, de solliciter autant les autres. Au même titre que nous ne sommes pas « pris » dans un embouteillage mais que nous en sommes la cause, nous sommes à l’origine des informations qui traversent le monde. Nous pouvons y remédier en sélectionnant ce qui doit être partagé et à qui.
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