désert avec oasis

La transition écologique, un choix démocratique ?

De Nicolas Treuvey

Le mardi 25 octobre 2022

Valentina Carbone et Aurélien Acquier (ESCP Business School) soulignent les voies ouvertes par les chercheurs dans le champ du management, du droit et des sciences politiques pour relever les défis des entreprises dans l’ère de l’Anthropocène, où la nature est déterminée par l’être humain.

Depuis 2000, l’écologie n’est plus un sujet tabou dans les entreprises, mais l'impact de leur activité sur l'environnement demeure

Quelles sont les grandes forces de transformation en lien avec la transition écologique qui ont marqué les entreprises sur la période ?

Aurélien Acquier : Les entreprises européennes se sont emparées des questions de soutenabilité et de responsabilité, en particulier les plus grandes. Cette prise en compte est le fruit de plusieurs transformations qui ont marqué la période : la globalisation des entreprises, leur pouvoir croissant à l’échelle mondiale, l’explosion des risques environnementaux et son corollaire : une plus forte exposition sociétale des entreprises.

Valentina Carbone : S’y ajoutent une fragmentation des chaînes de valeur et un morcellement des étapes d’extraction, production dans une logique de spécialisation à l’échelle mondiale, avec pour effet direct un fort dumping social et environnemental. De ces évolutions sont nés des risques globaux qu’aucun État n’est en mesure de maîtriser. Cette période est aussi marquée par l’émergence d’initiatives multi-parties prenantes pour relever le défi de la non-durabilité des chaînes de valeur.

Des travaux de recherche sont-ils venus en appui des actions et des politiques des entreprises en matière d’environnement ?

AA : La « managéralisation » du développement durable a été le principal courant de recherche sur la période 2000-2020. Nous avons assisté à l’émergence d’une approche stratégique des problématiques environnementales s’intéressant en priorité à la conception de produits et de services et succédant au management environnemental, plus circonscrit.

VC : Les travaux sur la supply chain qui se concentraient encore au début des années 2000 sur l’analyse des chaînes de valeur mondiales (automobile, textile en particulier) se sont ensuite orientés vers des recherches sur la supply chain "soutenable". Celles-ci ont eu un impact important sur les comportements des entreprises.

Ces travaux étaient dominés par une approche instrumentale : ils s’intéressaient à la manière dont il était possible de limiter les impacts environnementaux sans dégrader l’efficience de l'entreprise. Mais ils ne prenaient pas en compte l’impact global de l’activité des entreprises sur l’environnement.

Dans cette même veine, les études se sont multipliées sur la question des normes, des labels, des référentiels... qui proliféraient alors. Une prolifération qui ne permettait pas de mesurer l’impact de l’activité des entreprises sur l’environnement, au contraire.

AA : La véritable rupture dont témoignent ces travaux, c’est que l’écologie n’est plus un sujet tabou pour les entreprises. Toutes se positionnent désormais sur ces problématiques. Pour autant, ce “changement de logiciel” n’a pas débouché sur un ralentissement de la croissance, de la consommation de ressources naturelles ou encore des émissions de CO2. La recherche doit faire son autocritique, car elle n’a pas contribué à faire évoluer les pratiques des entreprises à un rythme suffisant . Chercher à “faire moins mal” tout en tirant parti de nouveaux marchés liés à l’environnement, cela n’a pas suffi.

Le rôle de la recherche en management a un rôle clé pour ouvrir des voies nouvelles  et aider à un choix démocratique

Les limites planétaires sont connues depuis des décennies. Qu’est-ce qui va changer dans les 20 prochaines années  ?

AA : Nous sommes entrés dans l’Anthropocène, durant laquelle l'influence de l'être humain sur la biosphère a atteint un tel niveau qu'elle est devenue une "force géologique". L’humanité est entrée en surrégime et il nous reste à peine une dizaine d’années pour essayer d’inverser les courbes. Il faudrait que les émissions de CO2 par personne passent de 12 à 2 tonnes d'ici 2050. C’est plus qu’une révolution !

VC : Il faut s’attendre également à des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement. Depuis les années 70, l'extraction des ressources naturelles croît plus rapidement que la population. Si nous continuons sur le même rythme, nous extrairons en 2050 le double de ressources que celles prélevées aujourd’hui. Ce qui est impossible : les épuisements vont se multiplier, avec des conséquences géopolitiques.

En quoi les travaux de la recherche en management préfigurent les réponses des entreprises à la hauteur de ces défis ?

AA : Le management comme l’économie reposent encore aujourd’hui sur un postulat : les ressources seraient infinies. De fait, ces champs de recherche se sont construits sans tenir compte de la nature.  La RSE doit désormais intégrer ces dynamiques naturelles écosystémiques. Des recherches qui permettront de faire émerger de nouvelles formes d’organisation, de nouveaux systèmes économiques plus sobres. Il s’agit de “réencastrer le management dans la société et la nature".

VC : Des courants sont clairement identifiés pour répondre à ces défis : en premier lieu, les travaux sur les communs. Protéger, gérer les communs sur des sujets sensibles (les semences en particulier) est aujourd’hui un enjeu pour les organismes de régulation.

Et l’économie circulaire ?

VC : Les travaux sur l’économie circulaire représentent un deuxième champ de recherche. Ils ne concernent plus seulement les logiques de recyclage ou l’efficience énergétique, mais également la sobriété et de nouveaux modèles économiques.

Troisième champ de recherche : la balanced scorecard, qui permet de prendre en compte des indicateurs non purement financiers, d'évaluer l'impact de l'activité de l'entreprise sur les émissions de CO2... et de les intégrer dans les décisions.

Peut-on aller plus vite, plus loin ?

VV : La réglementation et la société civile joueront un rôle majeur avec des actions en droit pour la justice climatique, comme le “name & shame” militant. La transition écologique est avant tout un choix démocratique.

AA : La question du réencastrement de l’économie dans la nature est essentielle. À ce propos, je ne pense pas que le terme de "transition écologique” soit satisfaisant. La rhétorique de la transition enferme, car elle oblige à penser l’avenir à partir de l’existant. Or il faut désormais se projeter en faisant abstraction de celui-ci. Un changement profond de paradigme est nécessaire : de mon point de vue, la responsabilité de l’enseignement supérieur dans ses activités de formation et de recherche est importante.

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