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L'éco-anxiété, un risque psychosocial qui gagne du terrain

De Nicolas Treuvey

Le vendredi 25 avril 2025

C'est un péhomène encore diffus, mais qui progresse : l'éco-anxiété, c'est-à-dire une prise de conscience particulièrement aigüe des changements subis par l'environnement et le climat, concerne désormais près de 2,5 millions de Français. Elle s'immisce dans le monde du travail, à tel point qu'elle est désormais appréhendée, par certaines entreprises, comme un risque psychosocial en tant que tel qu'il convient de prévenir et de gérer. Pour tenter d'y voir plus clair, l'Anvie a organisé un cycle de webinaires autour du sujet en présence, notamment, de Pierre-Eric Sutter et de Sylvie Chamberlin, tous deux co-fondateurs de La Maison des éco-anxieux et de l’Observatoire de l’éco-anxiété.

 

 

L’éco-anxiété : une détresse émotionnelle face à la crise climatique

L’éco-anxiété désigne une forme spécifique de détresse psychologique causée par la perception de menaces liées aux changements climatiques et aux bouleversements environnementaux. Elle se distingue d’une simple inquiétude par son intensité et par ses effets délétères sur le bien-être psychique et cognitif. Si ce phénomène a été théorisé dès 1997 dans les travaux scientifiques, son intensification est récente, portée par la multiplication des catastrophes naturelles, le sentiment d’impuissance, et le manque d’action à l’échelle politique et économique.

Il ne s’agit pas d’une maladie mentale au sens strict, mais d’un état intermédiaire entre bien-être psychologique et trouble psychopathologique. L’éco-anxiété se manifeste par quatre types de symptômes : cognitifs (ruminations constantes), affectifs (peur persistante, angoisse existentielle), comportementaux (retrait social, insomnie), et conatifs (sentiment d’insuffisance dans les actions individuelles, remise en cause des choix de vie). L'éco-anxiété concerne des profils variés, de tout âge et de toute catégorie socio-professionnelle, et ne se limite ni aux grandes villes, ni aux populations déjà sensibilisées. Elle est par ailleurs présente dans le monde entier : sa prévalence est particulièrement élevée dans les pays où le changement climatique et ses effets sont très visibles.

Un défi émergent pour les entreprises et le monde du travail

Dans le contexte professionnel, l’éco-anxiété pose des enjeux multiples. Elle affecte notamment l’attractivité et la fidélisation des talents. Un manque d’engagement environnemental de la part des organisations peut éloigner des candidats et générer du désengagement chez les employés. Des tensions peuvent également apparaître au sein des équipes, entre collaborateurs mobilisés pour la transition écologique et collègues climato-sceptiques. Ces divisions, renforcées par des communications jugées peu sincères ou assimilées à du greenwashing, nuisent à la cohésion interne. Le climat social peut alors se dégrader, notamment dans les contextes où les salariés perçoivent une contradiction entre les discours de l’organisation et ses pratiques réelles.

Par ailleurs, l’éco-anxiété représente un risque psychosocial. Elle peut diminuer l’engagement, générer de l’épuisement, et conduire à des arrêts de travail. Pour l’employeur, ces impacts se traduisent par une perte d'efficacité, une fragilisation de la culture d’entreprise et des coûts liés à la santé au travail.

Et le travail peut, selon les circonstances, aggraver ou apaiser l’éco-anxiété. Parmi les facteurs aggravants figurent une sensibilisation insuffisamment encadrée (par exemple lors des Fresques du climat) et l’absence de stratégie environnementale crédible, source de frustration. À l’inverse, certaines conditions professionnelles peuvent atténuer cette forme d’anxiété, comme la création de projets porteurs de sens ou la reconnaissance de l’engagement écologique des salariés.

Solastalgie, collapsologie : des concepts proches de l’éco-anxiété, mais différents

L’éco-anxiété s’inscrit dans un champ plus large de concepts qui expriment les réactions psychologiques et émotionnelles face aux crises environnementales et aux changements climatiques. Parmi les notions proches, on trouve la solastalgie, concept développé par le philosophe australien Glenn Albrecht pour désigner la détresse psychologique causée par la dégradation de l’environnement. Contrairement à la nostalgie qui implique un éloignement géographique et/ou temporel, la solastalgie survient lorsqu’une personne voit son cadre de vie se détériorer sous ses yeux. Cette souffrance est à la fois émotionnelle et existentielle, car elle affecte le lien entre l’individu et son territoire, entraînant un sentiment de perte et d’impuissance face aux transformations irréversibles de son environnement.

 

La collapsologie n’est pas qu’un concept : c’est un courant de pensée trandisciplinaire qui étudie l’effondrement possible de la civilisation industrielle en raison des crises écologiques, énergétiques, économiques et sociales. Elle ne se limite pas à un constat pessimiste, mais invite à imaginer des formes de résilience et d’adaptation. Pour certains, c’est une vision alarmiste de notre avenir ; pour d’autres, c’est une invitation à repenser nos modes de vie.

Transformer l’éco-anxiété en levier d’engagement organisationnel

Plutôt que d’être subie, l’éco-anxiété peut devenir un vecteur d’innovation et de transformation pour les entreprises. Pour cela, plusieurs leviers sont identifiés.

L’engagement sincère dans la transition écologique

La première étape consiste à reconnaître explicitement l’existence de l’éco-anxiété dans le monde du travail. Une stratégie cohérente, alignée sur des objectifs environnementaux crédibles, contribue à rassurer les collaborateurs. L’engagement doit être concret, mesurable, et visible dans le quotidien des équipes. La communication interne joue ici un rôle crucial. Célébrer les progrès environnementaux renforce le sentiment d’appartenance et peut atténuer les formes d’angoisse liées à l’inaction perçue.

Une marque employeur éco-responsable

Construire une culture d’entreprise attentive à l’éco-anxiété implique de prendre en compte les niveaux de prévention classiques. La prévention primaire vise à réduire les sources de stress écologique ; la prévention secondaire à offrir des espaces de sensibilisation et d’écoute ; la prévention tertiaire à accompagner les salariés en difficulté via des dispositifs de soutien. Une telle approche favorise la rétention des talents et la responsabilisation collective.

Prendre en compte l’impact individuel de la transition

Certaines fonctions, certains métiers sont particulièrement exposées à l’éco-anxiété. Les responsables Sinistres dans l'assurance ou les agriculteurs vivent par exemple au quotidien les effets du dérèglement climatique. Pour ces profils, des ajustements spécifiques sont nécessaires. L’évaluation des postes les plus sensibles permet de proposer un accompagnement adapté, tandis que la formation des managers facilite la mise en place d’espaces d’échange et de soutien.

Valoriser les ambassadeurs de la transition

Il est stratégique d’identifier les collaborateurs porteurs d’une sensibilité écologique et de reconnaître leurs contributions. À l’échelle individuelle, cela peut se traduire par des gestes simples (gestion des déchets, sobriété énergétique). Collectivement, il s’agit de porter des projets de réduction de l’empreinte carbone. Enfin, certains peuvent représenter l’organisation dans des démarches sectorielles ou institutionnelles liées à la transition.

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