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Les enjeux de demain des DRH (3) : IA et mutations technologiques

De Nicolas Treuvey

Le vendredi 28 février 2025

Troisième et dernier volet de notre série sur les enjeux de demain des DRH : l'arrivée des IA génératives et, plus généralement, de l'accélération des mutations technologiques qui bouleversent la gestion des compétences, le travail en tant que tel, voire les organisations. Pour Michel Barabel, maître de conférences à l'Université Paris-Est et directeur de l'Executive Master de Sciences Po qui a animé la formation "Nouveau rapport au travail, transition écologique, IA : faire des DRH les acteurs incontournables de demain", les enjeux pour les RH ne sont pas uniquement managériaux ou organisationnels : ils sont également d'ordre éthique.

Une accélération sans précédent des mutations technologiques

L'arrivée de l'IA générative dans les entreprises - et dans l'ensemble de la société - s'inscrit dans un contexte de ruptures technologiques permanentes, qui ne suivent plus une progression linéaire mais exponentielle. Cette rapidité de diffusion est illustrée par l'exemple de ChatGPT, qui a atteint plusieurs millions d'utilisateurs en quelques mois seulement, là où des innovations passées, comme le téléphone fixe, ont mis plusieurs décennies à s'imposer.

 

Les barrières à l'entrée qui ont longtemps permis à quelques grands acteurs de maîtriser et d'orienter ces ruptures s'effacent. De ce fait, les organisations doivent faire face à l'émergence de nouveaux acteurs capables de maîtriser rapidement ces technologies. Parallèlement, les individus voient leur employabilité transformée par une obsolescence de plus en plus rapide de leurs compétences. Ainsi, la formation continue est plus que jamais un enjeu central pour accompagner cette dynamique.

 

L'IA progresse également en termes de capacités analytiques. Alors qu'une version récente de ChatGPT affiche un niveau de performance cognitive supérieur à celui de la majorité de la population mondiale, elle demeure incapable d'expliquer ses raisonnements. Cette évolution pose la question de la place de l'humain face à des systèmes de plus en plus performants mais dépourvus de compréhension véritable.

Vers une reconfiguration des métiers et des compétences

Quel sera l'impact de l'IA sur l'emploi ? En la matière, plusieurs scénarios se dessinent. Un scénario pessimiste envisage la fin du travail humain, tandis qu'un autre, plus probable, prédit une forte polarisation du marché du travail. Certains travailleurs, capables d'interagir et d'enrichir les productions de l'IA, conserveraient une place stratégique, tandis que d'autres pourraient se retrouver marginalisés. Une troisième hypothèse, le "taylorisme 3.0", envisagerait un monde où l'IA dicterait les tâches humaines en se chargeant de toutes les activités analytiques et cognitives.

 

Des scénarios heureusement plus optimistes existent. L'IA pourrait augmenter les capacités humaines en facilitant certaines tâches, comme la traduction en temps réel ou l'automatisation des processus de production. Elle pourrait également libérer du temps pour des activités à plus forte valeur ajoutée, en supprimant les tâches répétitives et peu épanouissantes.

 

On comprend aisément que l'un des défis majeurs concerne la formation professionnelle et l'évolution des compétences. Plus un individu est expert dans un domaine, plus il pourra tirer parti de l'IA en affinant, en questionnant, voire en remettant en cause ses résultats. Le début de carrière devient ainsi une période critique, car les emplois confiés aux "jeunes" sont de plus en plus automatisés. Ce qui n'est pas sans poser question quant à la nécessaire acquisition de compétences en début de carrière, tremplin pour acquérir une expérience significative.

 

En outre, l'IA redessine le modèle économique du travail. Si elle permet des gains de productivité notables (jusqu'à 10 points selon certaines études), leur répartition devient une question essentielle : seront-ils utilisés pour réduire les coûts et les effectifs, ou bien pour améliorer la qualité de vie au travail et favoriser l'innovation ?..

Les enjeux éthiques et organisationnels de l'IA

L'usage de l'IA pour tout ce qui a trait au facteur humain pose des questions d'ordre éthique et juridique. La responsabilité en cas de décision discriminatoire est un enjeu central, comme l'illustre le procès de Workday aux États-Unis, où une entreprise a attaqué son prestataire IA pour biais discriminatoires. La question de la transparence et de la traçabilité des décisions devient cruciale : l'IA ne pouvant justifier ses choix, l'intervention humaine demeure indispensable pour valider les recrutements ou évaluer la performance des collaborateurs.

 

L'adoption de l'IA dans les processus RH doit donc respecter des cadres réglementaires stricts. L'AI Act européen classe ainsi les usages de l'IA en quatre niveaux de risque, imposant des obligations particulières pour les décisions à fort impact sur les individus, telles que le recrutement ou l'évaluation professionnelle. Certaines pratiques, comme l'analyse des émotions d'un candidat, sont d'ores et déjà interdites.

 

D'autres risques systémiques sont à prendre en compte, notamment la concentration du pouvoir entre les mains d'un petit nombre d'acteurs , l'homogénéisation des modèles de décision, ou encore l'empreinte carbone des infrastructures technologiques. Bien que des solutions "low-tech" soient envisagées, l'impact environnemental de l'IA reste un immense sujet de préoccupation.

 

Face à ces défis, les responsables RH doivent assumer trois rôles essentiels : veille éthique et réglementaire, accompagnement des collaborateurs dans l'acculturation aux nouvelles technologies, et expérimentation de solutions innovantes permettant de concilier efficacité organisationnelle et bien-être des salariés. L'intégration de l'IA dans le monde du travail constitue donc une transformation d'ampleur, dont les conséquences dépendront des choix stratégiques et éthiques adoptés. L'enjeu est d'en faire un levier de développement humain et organisationnel, en conciliant productivité, équilibre sociétal et respect des valeurs fondamentales du travail.

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