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Lutte contre les discriminations : et l'apparence physique?

De Nicolas Treuvey

Le lundi 25 mars 2024

L'apparence physique fait partie des 26 critères de discrimination reconnus par la loi : elle est d'ailleurs un des premiers motifs de discrimination et de harcèlement dans le monde du travail. Pour autant, comparée à d'autres critères de discrimination, elle est relativement peu traitée par les entreprises. Pour Isabelle Barth, professeure des universités en sciences de gestion à Strasbourg, on peut même parler d'un "impensé" tant elle semble absente des politiques de diversité et d'inclusion. Etat des lieux.

Isabelle Barth animera prochainement à l'Anvie un groupe de travail spécifiquement consacré à cette question.

Nous le faisons tous, sans même nous en rendre compte : face à une personne que nous rencontrons la première fois, dans un cadre professionnel ou personnel, nous évaluons le physique de celle-ci.  Notre première impression nous conduit à porter un jugement rapide et parfois définitif. Nous sommes tous docteurs ès apparences : l’apparence physique est donc partout, et, de fait, elle n’est nulle part. Y compris au travail.

Un critère de discrimination

L’apparence physique fait partie des 26 critères de discrimination prohibés par la loi. Les discriminations liées à l’apparence physique sont interdites, notamment au travail. Le Défenseur des Droits la définit comme « l’apparence corporelle [c’est-à-dire] les caractéristiques physiques innées ou apparues, non modifiables (traits du visage, silhouette, corpulence, couleur des yeux, de la peau, handicap visible…) » et « l’apparence vestimentaire et autres caractéristiques modifiables, qui constituent le « style » d’une personne : vêtements, coiffure, tatouages, piercings… ».

Un sujet de société

La question de l’apparence physique s’invite de plus en plus dans les débats de société : le body shaming qu’a dû subir Eve Gilles, miss France 2024, en atteste. Pour de nombreux téléspectateurs, cette femme ne pouvait pas être élue Miss France car jugée trop maigre, sans formes, et aux cheveux courts. L’influenceuse Lena Situations a subi le même body shaming lors du festival de Cannes car cette fois jugée trop… grosse.  Sans oublier que l’apparence physique est une des premières causes du harcèlement scolaire, tant en France que dans le reste du monde : le sujet est de plus en plus mis en lumière, à défaut d’être totalement traité.

L’apparence physique, un impensé omniprésent

La discrimination sur la base de l’apparence physique peut donner lieu à des peines très lourdes, du moins en théorie. Le harcèlement peut également coûter très cher aux entreprises – jusqu’à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. D’autant que depuis 2022, les entreprises n’ont plus le droit d’utiliser le critère physique dans le recrutement, sauf dans quelques cas très particuliers (spectacle, mannequinat, hygiène/sécurité…). Un steward par exemple ne peut pas être trop grand, comme la personne qui incarne Minnie à Eurodisney.

Peu de personnes ont conscience d’avoir été jugées, d’avoir subi des blagues sur cette base - ce qui arrive plus souvent qu'on ne le croit. D'autant que chacun voit son apparence physique changer en raison du vieillissement, d’une prise de poids, d’un accident, d’un handicap… Chacun peut donc être, un jour ou l’autre, être jugé sur son apparence physique.

Une apparence physique qui a toujours intéressé les hommes et les femmes à tel point qu’à certains moments de l’Histoire, on a cru que l’apparence physique était le reflet de notre personnalité. La physiognomonie, « science » des apparences née à la fin du XIXème siècle en est le meilleur exemple.

Mais la question de l’apparence physique a pris des proportions sans précédent au cours des dernières années compte tenu de l’omniprésence des images. Outre les personnalités connues, visibles partout, tout un chacun se met désormais en scène à travers des selfies abondamment postés sur les réseaux sociaux.

Le télétravail (on ne se montre pas en visio comme on se montre au bureau), le corps augmenté… reconfigurent encore le sujet. Sans oublier que nous voulons tous être uniques, singuliers, différents : en atteste l’essor sans précédent du tatouage, tout particulièrement chez les jeunes générations. Dernier signe à mettre en évidence : l’essor du fake concernant le physique à travers faux ongles, lentilles colorées, perruques, chirurgie esthétique.

Le beau et le laid, des constructions sociales

Depuis tout petits, nous sommes attirés par ce qui est considéré comme beau. La « faute » en grande partie à notre éducation où les beaux sont gentils, les moins beaux méchants… Or rien n’est naturel dans le corps, qui est un construit social : en attestent les critères de beauté qui ont profondément évolué au fil des siècles et sont extrêmement disparates d’une culture à l’autre.

La question de l’apparence physique est donc difficile à interroger. D’autant plus difficile à interroger l’apparence physique est un critère de discrimination qui en croise d’autres (âge, religion, handicap…) et s’efface bien souvent face à ceux-ci.

La (trompeuse) première impression

Coco Chanel disait que nous n’avons pas deux fois l’occasion de faire une première impression, affirmation qui reflète une conviction profonde : on peut se faire une idée d’une personne dès les premiers instants. A ce moment, plusieurs mécanismes se mettent en place, un effet de primauté en premier lieu. On projette sur la personne que l’on voit pour la première fois des idées, des jugements, et ce de manière inconsciente. Notre cerveau, en fonction de notre éducation, du monde qui nous entoure, de nos convictions… va plaquer des idées reçues sur nos interlocuteurs.

L’objectif du cerveau est simple : en catégorisant le monde, il rend celui-ci intelligible. Malheureusement, cela donne naissance à des stéréotypes qui, eux-mêmes, débouchent sur des préjugés qui conduisent à la discrimination. Être jugé attractif est un atout pour sa carrière ; être en surpoids est un frein à celle-ci. Attention néanmoins : il ne faut pas être trop beau… ou plutôt trop belle. D’aucuns jugent qu’une femme trop belle ne peut pas être compétente en même temps.

L’habit fait-il le moine ?

L’apparence vestimentaire représente un sujet à part entière, même si la situation évolue. Les lunettes peuvent être un signe d’intellectualisme, le costume est un prérequis dans certains métiers, le tatouage est censé « dire » quelque chose de la personne… Et dans certains métiers (le luxe, la parfumerie), on préfère toujours des personnes qui ressemblent au client, sans tenir compte de leurs compétences. Rentrer dans un taille 36 ne fait pas d’une femme une experte en maquillage !

 

Comment agir ?

Prendre conscience de ses préjugés

Pour lutter contre ces discriminations, il faut prendre conscience de ses préjugés – c’est un prérequis pour pouvoir les comprendre, les déconstruire et les combattre. Pour cela, le recours à des tiers est plus que nécessaire, d’où l’intérêt d’avoir des équipes aussi diverses que possible. Ne pas hésiter également à provoquer la controverse, à dire le contraire de l’avis dominant. Et, comme nous l’enseigne la Gestalt, il n’est pas inutile d’apprendre à regarder différemment pour ne plus croire ce que nous voyons ou, plutôt, ce que nous croyons voir.

Accepter que les points de vue sont pluriels

Nous avons également tout intérêt à avoir conscience que notre point de vue n’est pas l’exact reflet de la réalité et, surtout, que d’autres peuvent avoir des points de vue certes différents, mais tout aussi légitimes. En entreprise, l’objectif doit être de se centrer sur la compétence, sans considération portée à l’apparence physique, à la religion, à l’origine, etc. Et tout particulièrement dans le monde du travail, il faut penser à des rôles modèles différents de ceux qui animent notre imaginaire.

Penser la vulnérabilité comme une force

Enfin, il faut penser le moins comme un plus, autrement dit la vulnérabilité comme une force. Dans le monde du travail, cette idée commence à faire son chemin : les aidants, les personnes porteuses d’un handicap, les personnes jugées moins belles que la moyenne… ont beaucoup à apporter au collectif, au moins autant que les autres.

Aussi, chacun a intérêt à cultiver sa singularité, voire à faire de ses « défauts » une force. Le succès de Kim Kardashian s’explique largement ainsi : elle ne répondait pas aux canons de la beauté contemporaine mais a fait de ses caractéristiques physiques un élément de différenciation fort. Des caractéristiques certes différentes mais qui, in fine, ont beaucoup contribué à transformer les standards de la beauté féminine…

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