Veiller à la santé et à la sécurité de ses travailleurs en mettant en place des actions de prévention, d'information et de formation est une obligation qui pèse sur toutes les entreprises. L'efficacité de ces politiques n'est malheureusement pas toujours au rendez-vous. Rien d'étonnant à cela selon William Dab, professeur titulaire de la chaire d'Hygiène et Sécurité et responsable des enseignements de sécurité sanitaire au Cnam : toutes ne font pas l'objet d'une stratégie en bonne et due forme.
La définition de la santé au travail ne va pas de soi. Si l'approche classique est centrée sur la notion d’exposition aux risques, quelle que soit leur nature (risques physiques, chimiques ou numérique, techno-stress, facteurs externes retentissant sur l’activité de l’entreprise…), a santé au travail peut aussi être abordée par le prisme des problèmes, qu'ils soient aigus ou chroniques. Aujourd'hui, les entreprises sont surtout confrontées à des problèmes chroniques comme les maladies organiques ou mentales, mais aussi les crises sociales et environnementales. Santé publique France alerte ainsi sur le développement de l’éco-anxiété chez les jeunes.
L’approche médicale n’est pas la seule entrée pour identifier et résoudre les problèmes de santé au travail. L’approche « entreprise » s’intéresse aux retentissements du diagnostic (absence au travail, turnover, reclassement, performance…), tandis que l'approche « employé » se focalise sur la santé perçue et sur la satisfaction au travail. Or ces trois approches n’entrent pas nécessairement en cohérence. En l’occurrence, l’absence de consensus dans la définition de la santé au travail explique en grande partie l’échec de la prévention. Et pour cause, il est essentiel de prendre le temps de définir les problèmes avant de chercher des solutions.
Pour être efficace, loin de se cantonner au périmètre de l’obligation légale (les risques créés par l’activité de l’entreprise), la prévention doit agir sur tous les déterminants de la santé. Les problèmes étant multifactoriels, construire une stratégie de prévention autour des seules conditions de travail ou des seuls risques professionnels ne permettrait d’obtenir que des résultats partiels. Seule une action globale produit des résultats globaux. Le dialogue social a toute son importante en la matière, pour définir le centre de gravité des attentes de l'employeur et des employés puis développer une culture de la prévention.
Les difficultés à définir le champ d'action autour de la santé sont souvent liées aux incertitudes qui entourent à la fois les causes des problèmes et les conséquences des actions de prévention. De surcroît, la hausse des maladies chroniques et le vieillissement de la population au travail nourrissent l’invisibilité des risques, laquelle renforce le manque de conviction. Le drame de l’amiante en a témoigné. Aujourd’hui encore, alors même que le cancer est la première cause de mortalité avant 60 ans, la règlementation européenne relative à la gestion des CMR (produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques) reste largement inappliquée.
Avec la création de la Sécurité sociale, la santé était chargée de fabriquer de la force de travail. Aujourd’hui, ce rapport s’est inversé : on demande au travail de fabriquer de la santé. Du même coup, le contrat implicite qui lie employés et employeurs a changé de nature.
Cette évolution sociale est irréversible, d’autant qu’elle répond à l’attente des salariés. Dès lors, investir dans la santé et développer la prévention permet de (re)créer la confiance – or le lien entre confiance et performance n’est plus à prouver. Durant la crise sanitaire, les pays dans lesquels le niveau de confiance des individus envers les entreprises était très bas, comme la France ou le Royaume-Uni, ont connu une forte perte de PIB. Au Danemark en revanche, où ce niveau de confiance est très élevé, le PIB n’a quasiment pas baissé.
Les données sont un élément essentiel de la confiance. De fait, les actions appuyées sur les données sont plus légitimes que celles fondées sur des opinions. À cet égard, les études européennes peuvent aussi aider les cadres à convaincre leurs dirigeants de la nécessité d'investir à la fois dans les données et dans une véritable stratégie de prévention en santé.
Jusqu’à présent, les moteurs de la prévention étaient externes à l’entreprise : code du travail, inspection du travail, médecine du travail, assurances… La prévention était donc perçue comme une injonction, et non comme un besoin. Cette tendance commence toutefois à s’inverser. Pour faire comprendre aux dirigeants l’intérêt intrinsèque de la prévention, il peut être utile de recourir à un nouvel indicateur, le ROP (return on prevention).
En moyenne, un salarié reçoit 100 mails par jour et y consacre deux heures. Dans certains cas, cet outil qui permet des gains de productivité peut finir par devenir contre-productif et provoquer un phénomène de stress numérique, voire d’addiction. À cet égard, le Cnam recommande que le rapport à l’information numérique soit analysé avec les mêmes outils que ceux de l’évaluation des addictions.
Les managers sont des acteurs de la santé au travail, car la bataille des risques se jouent avant tout sur le terrain. Aussi doivent-ils être explicitement investis de la fonction d'agent de prévention, et déculpabilisés : ils ne sont pas le problème, mais la solution. Il ne s'agit pas nécessairement de bouleverser leurs pratiques, mais de leur faire prendre conscience de leur rôle dans la stratégie de prévention et, ce faisant, de faciliter l’ensemble de leurs missions managériales. La prévention ne doit plus être perçue comme une mission supplémentaire, mais comme un facteur facilitant, pourvoyeur de légitimité et de sens humain.
Une prévention performante requiert un référentiel d'objectifs partagés, des données et une vision commune du problème à résoudre. Par ailleurs, la plupart des problèmes étant désormais chroniques, seules des actions inscrites dans le temps peuvent avoir de l’effet.
Construire une stratégie de prévention en santé, c'est aussi abandonner la culture du « une cause, un effet ». De fait, les problèmes sont toujours multifactoriels. Un accident résulte toujours d’un enchaînement de causes et comporte presque systématiquement une dimension organisationnelle. De ce point de vue, agir sur les comportements et sur le facteur humain ne suffit pas pour maîtriser le risque accidentel de l'entreprise.
Il convient aussi d’identifier les contraintes et les opportunités, les acteurs concernés, les forces et les résistances, les meilleurs ambassadeurs de la prévention. Qui plus est, le risque étant une notion socio-technique, il importe de réfléchir à la faisabilité technique, juridique, économique et sociale de la prévention. Enfin, il est crucial d’envisager les effets indésirables de la prévention en mettant à mal l’affirmation selon laquelle « si la prévention en fait pas de bien, elle ne fait pas de mal ». Au total, il s'agit d'abord d'offrir de bonnes conditions de travail, puis de travailler sur la prévention au sens large et de créer une vraie culture de l'entreprise autour de la santé.
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