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IA, biomimétisme, Art Thinking... Quelles voies d'inspiration pour innover autrement ?

De Nicolas Treuvey

Le vendredi 11 octobre 2024

Face au tropisme très techno et très occidental du management de l’innovation, des voix s’élèvent pour appeler à innover autrement : avec moins de ressources, en s’inspirant de ce qui se fait dans d’autres cultures et sur d’autres continents, voire en faisant des détours par des champs a priori très éloignés de l’innovation comme la nature ou l’art. Petit tour d’horizon de ces méthodes d’innovation alternatives qui élargissent considérablement le champ des possibles en compagnie de Lionel Roure, maître de conférences au Cnam au sein de la Chaire Gestion de l’innovation.

Innover de manière plus frugale

Longtemps synonyme de progrès, l’innovation est aujourd’hui empreinte de doutes : faut-il innover toujours et encore dans la logique de destruction créatrice chère à Schumpeter, alors que la crise écologique est là, que les ressources se raréfient, que la croissance démographique se poursuit ? Et si l’on doit continuer à innover, ne faut-il pas se demander comment atteindre les mêmes objectifs, mais avec moins ?

 

C’est précisément ce que proposent les tenants d’une approche plus sobre. L’objectif n’est pas de développer de nouvelles connaissances mais de de se servir de celles qui existent déjà.

 

Les méthodes appartenant à ce champ de l’innovation (Jugaad, Low-Tech, Grassroots…) ont toutes en commun de transformer les contraintes en autant d’invitations à innover. Ainsi, lorsque les routes sont difficilement praticables, comment circuler lorsqu’on n’a qu’un vélo ? Tout simplement en installant sur celui-ci un dispositif qui convertit les chocs en énergie pour rouler plus vite…

 

Et dans la mesure où nous devons réduire notre consommation de ressources naturelles, pourquoi ne pas réutiliser, voire se servir des déchets que nous produisons ? L’entreprise suisse Freitag a ainsi construit son succès en ayant l’idée de concevoir des sacs à dos, portes-monnaies, trousses de toilette… à partir de bâches de camion et de chambres à air usagées. Des objets solides, esthétiques et très à la mode.

 

L'innovation frugale : huit principes

Selon l’essayiste Charles Leadbeater, l’innovation frugale se structure autour de huit principes et modes d’action, alternatifs ou complémentaires.

 

  • se confronter prioritairement au réel (moyens disponibles, conditions d’utilisation de l’innovation, tests en situation…) ;
  • soumettre le design aux exigences d’efficacité ;
  • accompagner le produit en proximité avec le consommateur ;
  • réutiliser ou recycler l’existant en l’améliorant ;
  • favoriser les alliances de contributeurs et le partage des connaissances;
  • se focaliser sur le besoin à satisfaire et non pas sur le produit ou le service en tant que tel ;
  • cultiver les stratégies du système D et de l’adaptabilité ;
  • transformer les contraintes et situations de crise en force, en « cassant » l’inertie des habitudes au profit d’une approche nouvelle.

Faire des détours pour innover autrement

Le principe du détour est simple : plaçons une poule derrière un grillage, avec du maïs de l’autre côté. La poule va s’efforcer de l’atteindre en passant à travers le grillage, ce qui est impossible ; or si elle prenait un peu recul, si elle faisait un détour, elle se rendrait compte qu’elle peut contourner le grillage.

 

En innovation, le détour consiste à s’éloigner de la démarche logique reposant sur un lien direct et évident entre cause et effet. La pensée créative, c’est précisément faire des détours, des embardées, afin de s’enrichir dans l’objectif de trouver une solution. Une démarche qui permet de ne pas se retrouver piégé par les biais de fixation et de disponibilité qui, l’un comme l’autre, nous enferment dans des schémas répétés indéfiniment. Le détour, c’est aller chercher ailleurs.

 

L'intelligence artificielle

L’IA générative peut présenter un réel intérêt dans le cadre de dispositifs d’innovation ouverte : celle-ci a montré tout son potentiel avec l’avènement de plateformes où des entreprises soumettaient des challenges techniques à des millions d’individus. Si tous se servaient de l’IA, en décuplant leurs propres connaissances par un accès aux connaissances existantes dans des domaines similaires, que se passerait-il ? Probablement, le temps de résolution d’un problème serait considérablement réduit ; l’IA permettrait précisément de faire des détours et de trouver la solution là où on ne l’attendait pas du tout, y compris pour des problèmes très complexes.

 

Le biomimétisme

Vinci disait déjà qu’il fallait aller « prendre ses leçons dans la nature » qui, il est vrai, existait bien avant nous. La nature, en trois milliards d’années, s’est transformée, a expérimenté une foule de configurations dont on peut s’inspirer : en architecture par exemple. La termitière présentant de remarquables qualités thermiques, ses principes de conception ont été repris par des architectes pour concevoir des immeubles frais l’été, chaud l’hiver, sans aucune consommation d’énergie.

 

Observer le vivant permet ainsi d'identifier des propriétés naturelles remarquables qui sont autant de sources potentielles d’innovation. Clément Ader n'a pas fait autre chose pour imaginer les prototypes de ses avions dont la troisième version sert d'illustration à cet article et qui est visible aux Arts et Métiers, à Paris : chacun aura reconnu la morphologie d'une chauve-souris.

 

A l’inverse, on peut partir d’un problème technique bien précis et chercher à comprendre comment la nature résout une question similaire avoisinante. Ainsi, pour répondre à la question « comment fixer un objet ? », on peut regarder comment les moules s’accrochent au rocher, comment le lierre se fixe sur un mur, comment le gecko parvient-il à dormir tête en bas. Des sites, des plateformes répertorient d’ailleurs toutes les avancées biomimétiques et permettent de se rendre compte combien nous pouvons apprendre du vivant.

 

L’Art Thinking

Les artistes donnent à voir des représentations du monde singulières qui nous font voir ce qui nous entoure d’une autre manière et élargissent notre champ des possibles. En un sens, ils proposent des innovations de rupture sans se concentrer sur un problème à résoudre immédiatement, ou dans une approche client. Ils ne font rien d’autre que des détours…

 

Ainsi, l’art peut être vu comme un amplificateur de vision, particulièrement propice pour favoriser la rupture. Le fauvisme, le cubisme, le surréalisme… ne répondaient à aucun besoin ; pour autant, les artistes concernés ont clairement proposer quelque chose de nouveau. Ils ont déconstruit les normes et les certitudes, ils se sont laissé dériver dans un inconnu. Bref, ils ont créé l’improbable, mais avec certitude. De quoi inspirer nombre d’innovateurs qui rêvent de trouver le Graal.

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