La sociologue Haude Rivoal a récemment animé un groupe de travail à l'Anvie sur la place des masculinités dans le monde du travail et leur impact sur la carrière des femmes. Elle revient pour nous sur les principaux enseignements issus de cette formation.
Haude Rivoal - Elle se porte mieux que jamais, même si rien n’est acquis. La loi Copé-Zimmermann (2011), qui a instauré des quotas de femmes dans les instances dirigeantes du CAC 40, a eu un effet extrêmement positif. A une réserve près : ces « nouvelles » femmes dirigeantes sont souvent cantonnées aux postes les moins prestigieux, les moins stratégiques, les moins rémunérateurs (RSE, Communication…). On constate par ailleurs que les avancées en matière d’emploi des femmes sont inégales : les femmes racisées sont moins bien payées que les femmes blanches par exemple – voire beaucoup moins bien.
Haude Rivoal – Force est de constater que les entreprises font tout pour que les hommes accèdent et conservent les positions les plus favorables dans le monde du travail. Cela n’a rien de nouveau.
Certes, depuis presque dix ans maintenant, les femmes prennent la parole, dénoncent les inégalités et les comportements toxiques dont elles sont victimes au travail. Mais certains milieux professionnels résistent, à l’image de la tech ou de l’informatique.
La montée en puissance de mouvements réactionnaires n’est pas étrangère à ce phénomène : de grands dirigeants, aux USA en particulier, s’opposent à ce qu’ils qualifient de wokisme et ont à cœur de supprimer toutes les formes de discrimination positive. Nous sommes donc à un moment de l’histoire où il va falloir lutter contre des mouvements masculinistes. Rien d’étonnant à cela, toute avancée dans l’égalité femmes-hommes étant suivie d’une réaction. L’histoire ne fait que se répéter.
Haude Rivoal - Il existe des boys club, les hommes se cooptant entre eux. C’est le cas dans les métiers prestigieux et/ou à fort potentiel de développement. Le schéma de mise à l’écart des femmes est toujours le même : l’effacement (on réécrit l’histoire) ; l’intimidation ; l’ostracisation.
Haude Rivoal - Les hommes ont un rapport à la virilité, au travail, aux femmes… très différent selon les individus. Tous n’adhèrent pas aux logiques de domination, voire les refusent. Il n’y a donc pas une masculinité au travail, mais des masculinités.
Ceci étant, un modèle prédomine toujours : la masculinité hégémonique où résilience, résistance, endurance… sont les maîtres-mots. Ce modèle, valorisé, évolue dans le temps. Prenons les astronautes : on attend désormais d’eux autre chose que des héros sans peur, capables de faire face à l’inconnu. A ce modèle hérité de la Guerre froide se substitue un autre modèle : un astronaute capable de travailler de manière collective, courageux, résilient, mesuré. Cela vaut pour le monde du travail dans son ensemble : ce que l’on attend des hommes change selon les contextes et les époques, fort heureusement.
Haude Rivoal - Oui, évidemment. Côté femmes, on trouve la jalousie, la fragilité, le manque de connaissances techniques, l’irrationalité… On suppose aussi que les femmes seraient « naturellement » meilleure communicantes, plus douces, minutieuses. Elles seraient donc prédisposées aux métiers de l’enseignement, du Care, de la communication.
Les stéréotypes associés aux hommes, toujours présents également, sont de surcroît davantage valorisés que ceux associés aux femmes. Mieux vaut être résistant, rationnel et autoritaire qu’empathique si l’on veut être promu manager.
Haude Rivoal - Parce qu’ils ne sont pas liés à des individus : ils s’inscrivent dans un système plus global. Prenons les femmes artistes, moins connues et moins nombreuses que les hommes. Elles ont manqué de structure pour exercer leur art, elles ont longtemps été cantonnées à la peinture décorative, genre jugé mineur et, surtout, elles étaient exclues des réseaux d’artistes, de galeristes, de commissaires d’exposition. Elles ne pouvaient pas diffuser leur art, elles ne pouvaient pas le faire connaître et, de fait, elles ne pouvaient pas montrer que les stéréotypes les concernant étaient faux. Cette situation est valable pour tous les réseaux professionnels.
Chez les hommes, les normes et les croyances restent très actives et étonnamment stables. Ce que l’on valorise dans les postes à responsabilité sont des qualités supposées masculines : notamment une capacité à assumer une grosse charge de travail sans montrer ses faiblesses. Or la façon dont les garçons sont éduqués et socialisés les prédispose à cela. Une fois au travail, ils sont encouragés à renforcer ces qualités : notamment dans les séminaires d’entreprise, les team buildings qui sont des excellents observatoires des stéréotypes de genre.
Haude Rivoal - Au départ, il était principalement composé de femmes. Lorsque l’informatique a pris de l’ampleur et est devenue médiatisée, celle-ci est devenue une affaire d’hommes. Les informaticiennes ont formé des hommes, qui sont devenus leurs chefs. Celles-ci ont été évincées à la faveur d’une crise et ne sont jamais revenues dans ce secteur. Encore aujourd’hui, les femmes sont très minoritaires dans les écoles d’informatique : à l’entrée et encore plus à la sortie, certaines abandonnant leurs études en cours de route.
Attention : dans certains pays, en Malaisie par exemple, les métiers de l’informatique sont considérés comme des métiers féminins, mais pas pour les bonnes raisons : ce sont des métiers qui ne sont pas salissants, que l’on peut exercer chez soi, qui ne nécessitent pas de porter des charges lourdes.
Haude Rivoal - Des lois, des rapports sont publiés. Certains grands patrons s’engagent en faveur de l’égalité professionnelle. Au-delà, force est de constater que la « valeur travail » se reconfigure : endurance, effort, performance… ne font plus recette chez les jeunes générations qui interrogent le modèle productiviste. Ce qu’elles veulent, c’est un nouvel équilibre entre pro et perso, entre hommes et femmes, entre classes sociales, entre races même. Il est bon que ces sujets occupent les débats.
Haude Rivoal - Telle que la société fonctionne actuellement, oui. Les individus peuvent vouloir le changement, mais l’entreprise et la société telles qu’elles sont conçues ne contribuent pas à la disparition des inégalités. L’économie fonctionne en partie parce qu’une partie du travail des femmes est gratuit : elles s’occupent de la maison et des enfants et permettent aux hommes de faire carrière. Tant que cela demeurera, il est peu probable que l’égalité réelle voit le jour.
Mais rien n’est inéluctable : dans les pays du nord, souvent cités en exemple, ont inclus la parentalité et le hors travail dans le travail. Par exemple en accordant (et en rémunérant) une heure quotidienne aux femmes allaitantes. En France, ce sujet relève strictement de la vie privée.
Haude Rivoal - Elles sont évidemment utiles et doivent être poursuivies car les inégalités restent présentes. Mais l’enjeu principal se situe probablement ailleurs : si les jeunes filles s’éveillent, sont de plus en conscientes des inégalités de genre et des VSS, ce n’est pas du tout le cas chez les jeunes garçons. C’est selon moi un des principaux enjeux pour que la génération suivante vive et travaille de manière beaucoup plus égalitaire.
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