« Big Quit » outre-Atlantique et outre-Manche, « Grande Démission » dans l’Hexagone : depuis la fin de la pandémie, les articles de presse se multiplient pour décrire un phénomène inédit, la hausse en flèche du nombre de démissions. Chaque mois aux USA, quatre millions de personnes quitteraient leur job. Selon une étude OpinionWay pour Microsoft France, 45% des salariés voient aujourd’hui moins de raisons de rester dans leur entreprise actuelle, et près d’un salarié sur deux (49%) reconnait avoir moins de scrupules à postuler dans d’autres entreprise. Derrière ce constat, a priori très inquiétant, se cache une réalité plus complexe : si les démissions progressent, les recrutements augmentent également nous disent Jean Pralong et Luc Tessier, tous deux professeurs à EM Normandie et spécialistes des questions de recrutement et d’emploi en France.
En France, la population en âge légal de travailler s’établit à 41 millions de personnes. On compte 27 millions de personnes en emploi et 2,8 millions de chômeurs. Le taux d’emploi de 55-64 ans reste inférieur à des pays à la structure démographique proche de la nôtre – il est notamment en-deçà de dix points par rapport à la Grande Bretagne.
Entre 2016 et le troisième trimestre 2021, on a compté six millions d’embauches, dont cinq millions de CDD (85% sont des CDD sont de moins d’un mois). Les embauches ont globalement progressé en tendance. En début de période, 88% des embauches se font en CDD, contre 82% en fin de période : c’est un indicateur fort, montrant que le marché du travail est en train de s’améliorer.
En tendance toujours, les démissions suivent peu ou prou la même tendance : on en comptait près de 286 000 tous les trimestres en début de période, contre 500 000 au troisième trimestre 2021. Si, là aussi, le Covid a brutalement freiné les démissions, celles-ci ont repris de manière extrêmement forte ensuite.
Les embauches en CDI ont repris leur progression après le Covid, traduisant bien le fait qu’il existe des opportunités sur le marché du travail. Ce constat vaut autant pour les établissements de plus de dix salariés que pour les autres. Mais les démissions progressent dans le même temps beaucoup plus rapidement. Si le phénomène de la « grande démission » est bien là, il présente des caractéristiques très différentes selon les entreprises, les secteurs d’activité, les bassins d’emploi, la taille des entreprises même. Ainsi, dans le tertiaire, les démissions sont beaucoup plus importantes dans les entreprises de moins de dix salariés – on retrouve là, notamment, les restaurants et les hôtels. Les secteurs où les conditions de travail sont les plus difficiles – on peut penser à la construction – sont également ceux les plus concernés par les démissions et les ruptures anticipées.
En pourcentage d’embauches totales, les démissions sont passées de 5% à 8% sur la période. Pour les CDI, le taux de démission est passé de 36% à 42% entre 2016 et 2021. Là également, les effets sectoriels sont significatifs. L’industrie ou la construction par exemple sont plus concernés que les autres – avec, en regard, un taux d’embauche plus élevé que la moyenne. La « grande démission » est donc contrebalancée par un « grand recrutement » ; les démissions progressent, mais le marché du travail s’améliore globalement.
La Chaire « Compétences, employabilité et décisions RH » de l’EM Normandie mène des études sur un panel représentatif de 200 000 personnes et ce depuis 2006. Ce suivi longitudinal permet d’obtenir des données relativement exactes quant à l’évolution des embauches et des démissions : le panel est testé tous les six mois sur la fonction occupée, la rémunération, le type d’employeur et les motifs de sortie.
Tout d’abord, en ce qui concerne les causes de sortie de postes en CDI, l’équilibre entre les démissions et les licenciements ne change pas réellement entre 2019 et 2021. Les motivations de sortie en revanche évoluent de manière significative : beaucoup plus qu’auparavant, les personnes qui démissionnent le font pour accélérer leur carrière. Les démissions motivées par une prise de poste identique progressent également, mais moins significativement. Les diversifications lourdes (on change de métier et de vie) diminuent. Les changements de postes obéissant à une diversification dite modérée – on reste au même niveau hiérarchique, on change simplement de silos reculent timidement et sont donc de plus en plus faibles. Très médiatisées à l’issue de la crise sanitaire, les reconversions professionnelles radicales concernent toujours aussi peu de personnes et diminuent.
Aussi, la principale cause de démission est la volonté d’accélérer sa carrière, d’accéder à un poste auquel on n’aurait pas pu prétendre aussi vite en restant dans la même entreprise. Après la crise, les individus agissent par conformisme, veulent aller vers des « valeurs sûres »… et aspirent principalement à devenir managers. On va donc vers ce que l’on connaît déjà lorsque l’on réalise une mobilité externe : vers des postes où les perspectives de meilleure rémunération et d’évolution de carrière positive sont les plus fortes. Les carrières conformistes attirent donc tout particulièrement actuellement ; les individus cherchent ainsi à sécuriser leur trajectoire professionnelle et obéissent, plus que jamais, à des normes sociales.
La « grande démission » est donc, avant toute chose, un « grand recrutement ». La première et le second progressent mais, d’un point de vue global, le marché du travail s’améliore en France. Les mobilités sont guidées par des démissions s’expliquant par la volonté d’accéder à un meilleur poste (rémunération, perspectives), guidée par un certain conformisme. La quête de sens si souvent évoquée, les ruptures brutales de trajectoire n’expliquent pas l’essentiel des démissions aujourd'hui, loin de là.
Face au tropisme très techno et très occidental du management de l’innovation, des voix s’élèvent pour appeler à innover autrement : avec moins [...]
La dimension psychologique est désormais pleinement prise en compte dans le sport de haut niveau : psychologues, coaches sont omniprésents aux c [...]