Professeure en sciences de gestion à l’Université de Lorraine, Anne Stévenot s’intéresse de longue date aux questions d’équité, de justice et de reconnaissance. La rémunération, au coeur de la relation d'emploi, est le premier et principal contribueur à ces trois items... sans être le seul.
Une politique de rémunération poursuit classiquement plusieurs enjeux : influer sur les attitudes et les comportements des collaborateurs ; assurer un sentiment d’équité sociale ; maîtriser l’évolution des coûts salariaux. Charge aux entreprises de trouver le bon point d’équilibre entre ces trois problématiques intrinsèquement liées les unes avec les autres. La satisfaction au travail et la motivation découlent de l’atteinte de ce point d’équilibre. Le sentiment d’équité, en matière de rémunération, ne va pas porter directement sur la motivation. Il va en revanche avoir un impact immédiat sur la satisfaction.
Encore aujourd'hui, les travaux les plus aboutis sont à mettre au crédit d’Adams (1963). Adams pose qu’il faut s’intéresser à la proportionnalité des échanges : chaque individu évalue ce qu’il donne et ce qu’il reçoit. Si la rétribution est à la hauteur de sa contribution, il estimera que l’échange est équitable.
L’individu va évaluer son ratio contribution-rétribution avec celui de ses collègues. Il va faire de même avec le marché externe : il peut nourrir un sentiment d’inéquité s’il est dans la même situation que son collègue le plus immédiat… mais s’il constate qu’il serait beaucoup mieux payé dans une autre entreprise. Ils peuvent tenter de rétablir l’équité perçue de différentes manières : en en faisant moins ; en incitant leurs collègues à faire de même ; en quittant leur emploi ; ou, encore, en procédant à d’autres formes de comparaison en changeant de référent.
Folger et Greenberg, en 1985, montrent que cette justice organisationnelle est de trois ordres : distributive, procédurale, interactionnelle.
Pour vérifier si le sentiment de justice procédurale est respecté, six critères normatifs peuvent être utilisés – des critères qui doivent avoir été formalisés afin de s’assurer qu’aucun d’entre n’a été oublié.
Ce cas est inspiré d’un cas réel dont voici le contexte.
Après un parcours universitaire classique et un master dans une école de management en province, Kevin est recruté comme contrôleur back-office pour les opérations de marché d’une grande banque française. Son rêve est de passer au front-office, c’est-à-dire de devenir trader. Cependant, ces fonctions sont réservées à quelques formations d’élite. Lorsqu’il devient enfin trader, au bout de cinq ans, Kevin est affecté aux produits financiers les plus simples, qui servent à couvrir les risques de change, et non à spéculer. Du fait de gains limités, les bonus sont beaucoup moins importants. Kevin a le sentiment que, malgré tous ses efforts et tous les résultats qu’il peut fournir, il demeurera moins considéré que les autres traders en raison de sa formation, et ne pourra pas évoluer vers les produits plus prestigieux.
Face à cette situation, ce collaborateur dispose de plusieurs options : négocier une augmentation, démissionner, mais aussi réduire sa contribution ou encore changer de référent. Kevin aurait pu également exprimer sa frustration auprès de son manager et des RH afin qu’une solution acceptable par tout le monde soit trouvée.
Mais Kevin choisit une toute autre voie en enfreignant les règles fixées par son employeur : Kevin aspire à être trader et peut commencer à spéculer sur des produits plus risqués afin d’accroître potentiellement son bonus ; il peut donc prendre des risques inconsidérés (pour lui et pour son entreprise !) afin de répondre au sentiment d’injustice qui l’anime. Cette situation, qu’une grande banque de la place parisienne a connue, a abouti au licenciement du salarié qui a été de surcroît poursuivi au pénal et condamné. La banque a perdu des sommes considérables à cette occasion.
Qu’aurait pu faire l’entreprise pour éviter la survenue d’une telle situation ?
Sur les questions de perception d’équité en matière de rémunération, ces dilemmes sont légion. Pour n’en citer que quelques-uns :
Autant de questions qui en amènent d’autres pour les managers : la rémunération aux performances (individuelles et collectives) est-elle plus juste que les autres ? Davantage de communication sur la rémunération globale améliore-t-il l’équité perçue ? Et comment concilier équité externe et équité interne?
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