En partenariat avec Actual group et Le Figaro Emploi, l'EM Normandie a créé un baromètre consacré au rapport des Français au travail : un outil visant à mesurer dans la durée les mouvements observés depuis la pandémie de Covid-19. Jean Pralong, enseignant-chercheur en GRH dans cette école et artisan de ce projet, livre pour nous les conclusions issues de la première vague d'enquête. Stéphanie Roche, Talent Manager au sein de l'entité Banque de détail du Groupe Société Générale, participait également à cette rencontre.
Jen Pralong – Ce baromètre est né d’un constat : les entreprises disent rencontrer des difficultés persistantes à recruter et, surtout, avouent ne plus comprendre les attentes et les comportements des individus qui candidatent.
A ceci s’ajoute une profonde évolution de la matrice sociale de notre pays : le cœur de notre société n’est plus constituée par une classe moyenne importante qui était en capacité de se situer par rapport à ceux qui étaient « au-dessus » et « en-dessous » des autres classes. La société française est désormais éclatée d’un point de vue géographique, économique et social. Nous sommes regroupés par territoires, styles de vie, revenus… et nous sommes tellement regroupés que nous ne connaissons plus du tout autrui, même si celui-ci ne se situe qu’à quelques kilomètres de nous. En découle des attentes et des comportements que nous ne comprenons plus.
JP - Notre rapport au travail a changé parce que notre rapport au marché au travail a changé. Depuis plusieurs décennies, les entreprises ont progressivement géré leurs marchés du travail internes comme des marchés externes. De ce fait, nous sommes tous confrontés au marché externe, à tel point que rapport au travail rime avec rapport au marché du travail.
Les individus ont compris cela et raisonnent en termes d’employabilité – dans leur entreprise ou à l’extérieur. Or les personnes ayant le plus confiance en l’avenir sont ceux dont l’employabilité est forte ; dit autrement, plus les individus estiment avoir une employabilité faible, plus ils sont pessimistes. Ainsi, et c'est ce que montre notre étude, les Français au travail sont « désengagés » dans 12,6% des cas, « stables pessimistes » (24,6%), « stables optimistes » (21,3%) ou, enfin, « avant-gardistes » (13%).
Les « désengagés » ont une employabilité et une confiance en l’avenir faible. Plutôt âgés, vivant dans des territoires enclavés, ils sont peu mobiles. Si leur entreprise ferme ou réduit son activité, ils se retrouvent dans une situation précaire. On trouve également dans cette catégorie des urbains, jeunes, en situation d’échec scolaire. Ils peinent à trouver un emploi, stable ou non.
Les « stables » sont suffisamment employables – ils intéressent les entreprises. Ils cherchent avant toute chose un CDI, statut qu’ils estiment le plus protecteur.
Les « optimistes », en moyenne âgés de moins de 39 ans, se distinguent par le fait que leur comportement dans la recherche d’emploi est dynamique. C’est un comportement traditionnel, prévisible : ces candidats sont des candidats idéaux pour les entreprises.
Les « pessimistes », en moyenne âgés de plus de 39 ans, sont tout aussi employables, mais ils ne croient plus dans leur possibilité à trouver un emploi. Ils ne se forment plus, ne mettent pas à jour leur CV, etc. Ils s’auto-éliminent, pour des raisons émotionnelles, donc subjectives. Répondre à une offre, c’est s’exposer à recevoir une réponse négative – ce qu’ils ne supportent plus.
Les « optimistes » sont les seuls à avoir un comportement classique vis-à-vis de la recherche d’emploi. Tous les autres adoptent des comportements nouveaux.
JP - Les « avant-gardistes » présentent des comportements radicalement nouveaux. Très confiants en eux-mêmes, parfaitement employables, ils ne veulent plus d’un CDI car ils n’en voient pas l’intérêt. Horaires, lieu de travail fixe, style de management qu’ils réprouvent, faible appétence pour les fonctions managériales qui leur sont pourtant ouvertes… constituent des repoussoirs. Le free-lancing, l’entrepreneuriat ou l’auto-entrepreneuriat ont leurs faveurs. C’est donc toute une partie de l’élite qui ne veut plus être dans l’entreprise. Contre toute attente, ce ne sont pas forcément des jeunes : on trouve beaucoup de plus de 50 ans dans cette population.
Nous sommes donc face à des segments de population nouveaux et des comportements nouveaux de la part des candidats, ce dont les entreprises doivent avoir conscience si elles veulent parvenir à recruter toutes les compétences dont elles ont besoin.
Stéphanie Roche – Historiquement, le poste de manager était l’aboutissement d’une belle carrière dans la banque de détail : un parcours type fait de postes de conseiller, de banquier patrimonial et enfin de manager faisait rêver. Mais peu à peu, nous avons constaté que les collaborateurs étaient davantage réticents à accéder à cette fonction de manager, notamment en raison de mauvaises expériences avec leurs propres supérieurs. Ils ont également pu constater combien, dans certains cas, occuper de tels postes était difficile. Désormais, nous sélectionnons davantage, nous testons, nous accompagnons, nous formons les candidats à la fonction managériale, le passage à ce statut est beaucoup moins automatique qu’auparavant.
SR – Comme de nombreuses entreprises, nous établissons des baromètres pour sonder les collaborateurs et les faire réagir sur leur adhésion à la stratégie, leur environnement de travail, leur stress, leur sentiment d’accomplissement… Cela permet d’en déduire un niveau d’engagement et, le cas échéant, de construire des plans d’action.
Au-delà, je suis persuadée que plus une entreprise travaille l’employabilité de ses collaborateurs, plus elle obtiendra leur adhésion et leur engagement. En travaillant l’employabilité, on réduit en outre l’inquiétude des individus face à l’avenir et on renforce leur attachement à l’entreprise. Au sein de Groupe Société Générale, nous avons par exemple mis en place des programmes de reskilling afin d’aider certains collaborateurs à prendre des postes vacants mais dont ils ne maîtrisaient pas toutes les compétences requises. En les formant, en leur donnant les compétences attendues, nous parvenons à faire « matcher » postes vacants et collaborateurs souhaitant faire une mobilité interne. Nous avons tenté de mesurer l’impact de ces programmes sur l’engagement : il est positif, incontestablement.
JP – Les modalités d’engagement des collaborateurs changent : auparavant symbolique, de l’ordre du prestige, l’adhésion se faisait à l’entreprise en tant que telle, au secteur d’activité et, pour certaines fonctions, aux postes occupés. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : les candidats se moquent d’appartenir à une entreprise prestigieuse. Ils sont avant toute chose attentifs à ce que cette entreprise va leur apporter : en termes de rémunération, de carrière, d’avantages, d’employabilité… L’engagement, désormais, est pragmatique et raisonné.
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