Dans son ouvrage co-écrit avec Béatrice Rousset (Stratégie modèle mental – Cracker enfin le code des organisations pour les remettre en mouvement), Philippe Silberzahn explique pourquoi les organisations n’arrivent pas à se transformer : parce que nos modèles mentaux ne sont plus adaptés aux enjeux contemporains. Principal changement de modèle mental à initier selon les deux auteurs : les dirigeants doivent comprendre qu’ils ne peuvent plus prescrire le changement car celui-ci doit émaner des individus.
Ils constituent un ensemble de croyances dont nous avons besoin pour comprendre notre environnement, les autres, le monde : nous agissons en fonction de ce que nous comprenons. Très concrètement, nous avons tous modélisé ce qu’est l’entreprise, le travail, une visioconférence…et nous agissons en fonction de cela, parfois de manière quasi-automatique.
Ces modèles mentaux évoluent constamment, en fonction des changements que nous constatons dans l’environnement. Mais dans certains cas, les croyances se figent en certitudes et ne peuvent plus évoluer. De fait, lorsque le monde change, et encore plus lors des périodes de rupture, nous nous trouvons face à des éléments, des événements si nouveaux que nous ne parvenons pas à les comprendre… et nous ne parvenons plus à prendre les décisions appropriées.
Ce phénomène a toujours existé : des fouilles au Groenland ont par exemple révélé que les colons norvégiens, présents entre le Xème siècle et le XVème siècles, étaient morts de faim alors que la mer grouillait de poissons. Pourquoi ? Parce que les Norvégiens méprisaient les Inuits, excellents pêcheurs, qui trouvaient dans la mer l’essentiel de leur nourriture. Le temps qu’ils se rendent compte que la pêche était la seule issue, il était trop tard. Ils n’ont pas su faire évoluer leur modèle mental, ce qui a causé leur perte.
Les modèles mentaux sont extrêmement utiles car ils rendent notre environnement intelligible. Mais ils ne sont jamais universels : « ouvrir » son modèle mental, comprendre que nous ne sommes pas tous animés par les mêmes certitudes est donc indispensable. Face à une même situation, nous ne procédons pas à la même analyse et ne prenons pas la même décision. Si nous ne sommes pas tous conscients de nos propres croyances et de celles des autres, le changement est impossible. Les modèles mentaux étant invisibles et inconscients, leur mise en lumière peut se révéler complexe… mais n’est pas impossible pour autant.
Si chacun convient que la transformation est nécessaire, personne ne sait de quoi demain sera fait. Cela n’empêche pas les entreprises de produire des plans de transformation parfaits sur le papier, mais qui peinent à voir le jour : elles conçoivent la transformation de manière jupitérienne, « par le haut », ce qui ne marche pas.
Certains chercheurs et certains praticiens posent au contraire que ce sont les collaborateurs qui peuvent impulser le changement. C’est ce que l’on appelle l’incrémentalisme, c’est-à-dire la capacité d’une organisation à progresser « par le bas », à petits pas, en misant sur les initiatives individuelles. Mais cela ne fonctionne pas sur le long terme. L’énergie s’estompe, l’enthousiasme initial disparaît. « Là également, tout est affaire de changement de modèle mental .
Les entreprises doivent prendre conscience que le changement repose sur des « petites victoires », c’est-à-dire des résultats tangibles, complets, mis en œuvre de façon collective et d’importance modérée. C’est la somme de ces petites victoires qui permettra, à terme, le changement. Encore faut-il faut accepter la réalité de l’organisation et ne pas s’y opposer. En outre, l’action doit être coconstruite . Par ailleurs, il faut travailler sur un modèle mental alternatif partagé. Enfin, il faut agir sur la base de celui-ci en raisonnant selon le principe des pertes acceptables et du contrôle des risques. Pour cela, on teste le changement sur un projet où les enjeux sont mineurs, voire inexistants. Si cela fonctionne, il devient alors possible d’étendre l’initiative à un terrain de jeu plus large.
On n’identifie pas a priori les acteurs, car ce sont eux qui choisissent de participer à de telles initiatives. Certaines figures sont bien connues : innovateurs, intrapreneurs, Corporate hackers, early adopters, activistes… Pour capter leur attention, leur faire savoir qu’un projet différent est en cours, il faut faire du bruit … mais pas trop. « Ces profils émergeront dès lors qu’ils pensent que le projet que l’on porte peut faire avancer les choses ». En tout état de cause, il ne faut jamais chercher à embarquer tout le corps social au début, bien au contraire !
Ces petites victoires doivent forcément avoir un lien avec le « grand problème », avec la transformation globale d’une organisation. Elles doivent être guidées par le modèle mental cible, c’est-à-dire celui que l’on souhaite changer. Prenons le télétravail : jugé impossible pour certaines fonctions avant le Covid, il l’est devenu en quelques jours seulement… Ce qui bloquait son développement, c’était le manque de confiance des managers vis-à-vis de leurs collaborateurs, qu’ils pensaient improductifs à distance. On touche là à leur modèle mental où télétravail rime avec oisiveté. Pour faciliter l’acceptation du télétravail afin de repenser le travail, on peut trouver un manager volontaire, prêt à expérimenter le télétravail pour un collaborateur – puis deux, puis trois, puis pour toute son équipe. Les risques pour l’organisation, le manager et les collaborateurs concernés sont nuls.
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